- INDIENS D’AMÉRIQUE
- INDIENS D’AMÉRIQUEAux yeux de la plupart des gens, les Indiens d’Amérique du Nord sont des peuples d’un autre âge. On pense généralement que l’invasion de leurs terres par les colons d’origine européenne les a laissés au bord de l’anéantissement et qu’ils ne sont plus qu’une poignée de survivants déchus, voués à se fondre tôt ou tard (si ce n’est déjà fait) dans la population qui les a supplantés.Et si l’on plaint leur sort ou déplore les exactions et violences notoires commises à leur encontre, on tient cependant pour légitime ou nécessaire leur extinction présumée. Ne voyant en eux que des sauvages ou des primitifs, on considère qu’ils n’avaient rien à opposer à la civilisation évoluée de leurs envahisseurs qui, de l’univers farouche qu’ils habitaient, ont fait un monde prospère et puissant, symbole même de la modernité et du progrès. On admet qu’on aurait pu leur rendre plus de justice en tant qu’hommes, mais en tant qu’Indiens ils devaient fatalement disparaître, car n’appartenant qu’à la préhistoire et au folklore d’un continent, qui n’a pour histoire véritable que sa conquête et sa transformation par les « hommes blancs ».Une chose est vraie dans tout cela: depuis cinq siècles, on n’a épargné aux Indiens aucune raison de mourir. On les a exploités commercialement et politiquement, les jetant notamment les uns contre les autres dans des guerres intestines, allumées pour des motifs mercantiles ou impérialistes. On les a dépouillés de la quasi-totalité de leurs territoires, employant à cette fin les moyens les plus cyniques ou les plus brutaux, bafouant ouvertement la parole donnée et les traités signés, allant jusqu’au génocide. Et la spoliation se poursuit de nos jours où les terres productives restées aux Indiens et leurs ressources sont presque toujours contrôlées par des Blancs, tandis que la plupart des indigènes vivent surtout d’assistance sociale et sont au plus bas niveau des sociétés canadienne et américaine.Jamais on n’a reconnu aux Indiens le droit d’exister en tant que nations et cultures, imaginé de les laisser libres de décider eux-mêmes de leur destin. Les puissances coloniales se sont partagé l’Amérique sans égard pour leur présence; et au terme de leur expansion, les États-Unis et le Canada les ont purement et simplement annexés, les plaçant sous la tutelle de bureaucraties qui réglementent souverainement l’essentiel de leur vie. Et quand on n’a pas réclamé leur complète élimination, on n’a envisagé que leur conversion autoritaire au mode de vie européen, politique systématiquement suivie aujourd’hui par les gouvernements qui les dominent et applaudie par tous ceux qui se disent leurs amis et qui ne voient de salut pour eux que dans leur assimilation.Ainsi, pendant cinq cents ans, les Indiens ont pu avoir affaire à des hommes blancs d’origines, de conditions, de nationalités et de convictions les plus diverses, ils n’ont rencontré de leur part qu’une intolérance aveugle et continue, qu’une agression totale et multiforme, dans sa durée et son intensité, sans beaucoup d’équivalents à l’époque moderne.Pourtant et en dépit de l’opinion commune, les Indiens ne sont ni morts ni moribonds. Plus de deux millions aujourd’hui aux États-Unis et au Canada, ils constituent, avec une population qui s’est multipliée par six depuis le début du XXe siècle, le groupe ethnique nord-américain qui connaît actuellement le plus fort taux de croissance.Et leur vitalité n’est pas seulement démographique. La réalité collective et culturelle des tribus indigènes, malgré les pertes qu’elles ont subies, la précarité de leur condition et les pressions considérables qui continuent de peser sur elles, n’est nullement en voie de dissolution. Les Indiens sont toujours des Indiens et ils entendent le rester. C’est le sens aussi bien de leur vie quotidienne, dans la mesure où elle est libre, que des luttes qu’ils mènent pour la défense de leur identité.Ce n’est pas pour autant qu’ils sont demeurés figés dans la nostalgie d’un passé révolu. Au long de leurs contacts dramatiques avec les colons et pionniers européens, les sociétés indigènes ont connu de graves crises et d’amples bouleversements, et elles n’ont duré qu’en se modifiant et s’adaptant profondément. Mais ces transformations se sont faites, pour l’essentiel, dans la fidélité à leur propre héritage, héritage que les Indiens ont non seulement maintenu vivant mais persistent à opposer en tout point à une civilisation que, en dépit de ses richesses et de son triomphe apparent, ils ne jugent ni supérieure ni enviable.Et c’est peut-être là la raison de l’intolérance tenace à laquelle ils sont exposés en même temps que de l’aura légendaire qui, néanmoins, les entoure: confrontés à toutes les formes d’oppression dont notre monde dit évolué est prodigue, ils ont su sauvegarder leur différence et inventer une histoire originale qui témoigne d’un autre possible pour les hommes. Cela mérite en tout cas qu’oubliant un instant l’imagerie spécieuse du western ou du primitif dépassé par le progrès, on s’attache à connaître ce qu’étaient exactement les premiers habitants de l’Amérique du Nord et par quelles voies et dans quelles conditions ils ont survécu jusqu’à nos jours, traversant défaites et revers sans se renier et sans se perdre. C’est à quoi peut notamment nous aider l’Indienne guatémaltèque Rigoberta Menchu, qui a obtenu en 1992 le prix Nobel de la paix pour sa contribution à la justice sociale et à la réconciliation entre groupes ethniques.Les premiers établissements humains en Amérique du Sud remonteraient à environ 15 000 ans avant J.-C. Situés dans les régions côtières du Venezuela et de la Colombie, ils indiquent un peuplement d’origine septentrionale, introduit par l’isthme de Panamá, répandu peu à peu le long du littoral et pénétrant au cœur du continent par les voies fluviales. Du système de l’Orénoque à celui de l’Amazone, le passage est aisé grâce au « canal » du Casiquiare; sur l’immense étendue sillonnée de rivières qui va de la Cordillère des Andes à l’ouest, aux savanes du Nord-Est, aucun obstacle naturel, aucun changement de milieu géographique ne s’opposent aux mouvements de population et aux diffusions culturelles. Ainsi s’est créée au cours des âges, dans toute la zone des terres basses et boisées, une culture homogène qui déborde le cadre strictement géographique du bassin de l’Amazone.Du point de vue ethnologique, les Indiens de l’Amazonie méridionale (Mato Grosso) et occidentale (cours du Marañón et de ses affluents) font partie du même ensemble culturel que ceux des Guyanes et de l’Orénoque. Ils se différencient tous des groupes des hauts plateaux andins, des plaines tempérées et froides du sud du continent et de ceux qui, dans les savanes surtout, sont demeurés jusqu’à nos jours (ou presque) exclusivement chasseurs-cueilleurs.1. Amérique du NordLes premiers habitantsUne organisation économique rationnelle et diversifiéeAu XVIe siècle, explorateurs, trafiquants, conquistadores européens n’ont nullement rencontré un monde primitif et désert; la population indigène, 12 millions de personnes au minimum, vivait des ressources locales, ne connaissait pas de mortalité endémique et précoce mais bénéficiait d’une bonne santé générale. La natalité était faible, les populations prospères. Par ailleurs, ils étaient fort peu absorbés par les tâches productives; les économies tribales n’étaient nullement conduites au jour le jour mais extrêmement diverses; qu’il s’agisse de l’agriculture (régions à l’est des Plaines, au sud des Grands Lacs, le long des fleuves et points d’eau des régions arides du Sud-Ouest), de la chasse (régions subarctiques et du Nord), de la pêche (côte pacifique et rivières à saumon), de la collecte (Californie), ces économies reposaient sur une organisation rationnelle et un savoir considérable. On a dénombré 1 000 espèces végétales et 1 500 espèces animales entrant dans l’alimentation. Les Indiens utilisaient des méthodes de conservation et de stockage, intervenaient de façon discrète sur le milieu. Ces économies ne visaient pas à surproduire, à exploiter le monde en vue d’un profit; elles ignoraient toute spécialisation dans la division du travail, y compris entre sexes. Aucune tribu ne s’appuyait sur un seul type de ressources, mais exploitait selon les circonstances le plus grand nombre de celles-ci, ce qui limitait les risques de pénurie et assurait à la communauté, à chaque groupe domestique, une totale autonomie. Les Indiens se rencontraient fréquemment d’un peuple à l’autre; on peut suivre de longues routes commerciales du Texas à la Californie, du Saint-Laurent aux Plaines. Des peuples nomades, tels les Apaches, occupant les Plaines, et des peuples sédentaires, tels les Pueblos agriculteurs du Nouveau-Mexique se rencontraient chaque hiver lorsque les premiers venaient apporter viande, peaux, sel aux seconds et en recevaient maïs, poteries, tissus de coton.Les économies indiennes dans leur diversité reposaient sur des choix, des actes de liberté, une conception différente de celle des Européens; si les Indiens du XVIe siècle ont une curiosité enjouée pour les outils, les armes de leurs visiteurs, ils ne montrent pas d’avidité à les posséder. Ici et là ils ajoutent blé et plantes à leur agriculture, les Navajos élèvent des moutons, d’autres adoptent le cheval, Navajos et Pueblos l’orfèvrerie, tout cela témoigne du sens économique indigène tourné vers le plaisir de vivre et non vers l’avoir.Un univers non conflictuelIl y avait avant l’arrivée des Européens 2 000 langues indigènes. Beaucoup d’Indiens connaissaient 2 ou 3 langues, et il existait des moyens de communication intertribaux, langages par signes ou langues internationales. L’habitat était dispersé, les concentrations humaines permanentes de quelques milliers de personnes étaient rares. Il n’y avait nulle organisation politique apparente au-delà des communautés locales, nulle trace de pouvoir centralisé. Ce monde avait sa propre logique, support ou expression d’une vision du monde. Il est courant de dire que la vie indigène, dominée par la religion, était essentiellement magique et caractérisée par l’insuffisance du développement technique; or les techniques indigènes n’étaient nullement rudimentaires, elles visaient à d’autres fins que la technologie européenne. Ces religions étaient dans leur expression extrêmement variées, ce dont les Indiens ne s’offusquaient pas, pas plus qu’ils ne cherchaient à étendre leurs propres croyances.C’est ainsi qu’ils ont accueilli les missionnaires chrétiens, ne faisant pas obstacle à leurs entreprises aussi longtemps qu’elles ne devenaient pas violentes. Ils avaient le sens de la relativité de toute culture, et c’est au choix individuel qu’ils rapportaient toute décision en ce domaine. Les rites n’étaient pas des cultes organisés mais des rencontres. Ces peuples concevaient la pensée comme devant être échangée et partagée plutôt qu’apprise et unitaire. Ce qui existe trouve autour de lui les éléments nécessaires à la vie. L’univers est solidarité, l’existence n’y est pas concevable isolément. Le cycle des éléments et saisons influe sur tout ce qui est. Les êtres vivants sont liés par leur respiration, leur alimentation, leur expérience sensible, leurs actes, et tout moment, tout être, toute chose est en communication avec l’univers. Ils ne conçoivent pas l’être humain comme une espèce au-dessus des autres formes d’existence, image d’un dieu au sommet de l’évolution, ni non plus écrasé par une nature hostile. L’univers n’est aucunement conflictuel; l’homme, plutôt que dominer ou exploiter le monde, doit vivre en harmonie avec lui, puisque sa vie lui est donnée . Il y gagne sa liberté. Il n’y a pas deux êtres, deux moments, deux choses qui soient identiques, chaque chose est l’aboutissement de l’univers, l’aboutissement unique. Toute existence est absolue, est pouvoir. Le mal, la souffrance? Les Indiens ne sont pas obsédés par la mort, ils ne fuient pas sa réalité puisqu’ils vivent de la mort des choses, plantes, animaux. De même ils ne conçoivent pas de mal en soi; des choses peuvent entrer en conflit, il s’agit alors de réparer, de retrouver le sens de l’harmonie entre elles. Tel était le sens des thérapeutiques et de la résolution des conflits, par la confiance et la réconciliation.Le territoire n’est propriété ni des membres ni même de la tribu, il a sa propre vérité; les Indiens n’ont pas disputé aux Européens le droit de s’installer, les ont même aidés. Le territoire est chair de la tribu, il la crée. En vivant avec ce qui l’entoure, en être autonome et responsable, l’être humain peut trouver sa liberté et sa vérité personnelles. C’est le sens de l’attachement extrêmement fort des tribus à leur environnement.La tribu est la rencontre et non la somme de ceux qui la composent. Les structures sont l’émanation du quotidien. Elle ignorait les règles majoritaires, si un consensus ne peut être atteint, chacun suit la voie qui lui semble la meilleure.Le choc colonialLes étrangers à la peau claire, au visage velu, qui débarquèrent au XVIe siècle, furent reçus sans hostilité ni peur. Les Indiens allèrent vers eux, chargés de présents, les invitant dans leurs villages, dans l’esprit de partage et d’échanges culturels qui existaient entre les tribus. Ils ne les prirent pas pour des dieux, n’ayant jamais divinisé quoi que ce soit, et ne durent juger que de l’infériorité morale et culturelle de ces individus agressifs, inadaptés au milieu, vivant à leurs crochets, fermés à toute communication; ils n’en laissaient rien paraître, les recevant comme porteurs d’une culture particulière.Ils furent d’emblée collectivement et globalement classés comme Indiens ou sauvages, et niés, contre toute évidence, comme « non-culture », comme humanité bestiale et dévoyée. Ils eurent affaire à toutes sortes d’hommes civilisés: derniers féodaux, marchands, entrepreneurs, prolétaires, petits paysans, catholiques, protestants, libres penseurs, monarchistes, républicains de toutes tendances, bien-pensants et aventuriers, révoltés, Espagnols, Anglais, Hollandais, Russes..., des hommes d’origines et de fortunes diverses, de convictions différentes, d’intérêts souvent opposés, mais tous identiques dans leur nature de colons, leur incapacité à reconnaître le fait indien. Les Indiens n’existaient pas pour les nations européennes, et les transactions et traités furent conclus à propos de territoires que les Européens s’étaient déjà arrogés par droit de découverte, et répartis entre eux.La traite et le désastre démographiqueDès le début du XVIe siècle, des relations commerciales s’ouvrent sur les côtes canadiennes à la suite du contact entre pêcheurs de morue et indigènes de la côte. La traite des fourrures devint rapidement indépendante et d’importance supérieure à la pêche, donnant naissance, dès la fin du siècle, à des compagnies qui cherchaient à s’assurer le monopole. La demande s’accrût, le castor s’épuisa sur la côte littorale, la traite se déplaça alors vers l’intérieur. Français et Hollandais installèrent des comptoirs et entrepôts, sur le Saint-Laurent (1608) et l’Hudson (1614). Les Anglais succédèrent aux Hollandais, et une compétition active s’engagea amenant au XVIIIe siècle les Français à pénétrer dans les plaines canadiennes. À cette époque d’autres fronts commerciaux existaient dans le sud des États-Unis où des trafiquants anglais achetaient peaux de cerfs et esclaves et dont l’expansion fut stoppée par l’installation des Français en Louisiane (1699). De la Louisiane au Canada en remontant les affluents du Mississippi, les Français remontèrent vers l’ouest. Dans les Plaines, un commerce s’était développé entre les Apaches et les Espagnols installés alors au Nouveau-Mexique depuis 1598: contre chevaux et marchandises, les Apaches fournissaient peaux de bisons et esclaves, terrorisant les tribus sans défense de l’est des Plaines; celles-ci accueillirent les Français qui leur fournirent des armes (les Espagnols n’en fournirent jamais aux Indiens), vers le milieu du XVIIIe siècle. Les Russes poursuivant leur expansion depuis la Sibérie s’étendirent en Alaska où ils établirent des postes de traite sur la côte sud. Au XIXe siècle, leur commerce s’étendit sur la côte ouest, remonta vers l’intérieur, le long des cours d’eau sur la côte pacifique de la Colombie britannique, du sud de l’Alaska à l’État de Washington. Avec l’épuisement des loutres de mer au XIXe siècle, les Indiens durent se transformer en trafiquants auprès des Indiens de l’intérieur. À l’intérieur, après l’élimination des Français, deux compagnies anglaises rivales se formèrent; les postes se multiplièrent dans l’Ouest canadien entre 1780 et 1821, date à laquelle les compagnies fusionnèrent; le commerce avait alors franchi les Rocheuses et atteignait l’Arizona et la Californie. Après l’achat de la Louisiane à la France en 1803, les Américains intervinrent à leur tour en s’intéressant au bison. En 1800, il n’y avait pratiquement plus de peuples indigènes, sauf les plus septentrionaux des Eskimos, qui échappaient à l’influence directe ou indirecte de la traite.Celle-ci détruisit partiellement ou totalement l’indépendance économique des Indiens, épuisa leurs ressources, fit disparaître une partie importante de leur savoir et de leurs techniques; les rapports compétitifs et l’alcool furent des facteurs de démoralisation des tribus; la traite fut enfin le terreau essentiel des guerres tribales qui isolaient les tribus.Le second facteur de diffusion de l’influence européenne fut le grand désastre démographique. Les navires européens qui apportaient les marchandises apportèrent aussi variole, rougeole, grippe, typhoïde, tuberculose, choléra, pestes... Avant 1650, la population indigène diminua parfois de 90 p. 100 dans les régions les plus frappées. Par la suite, les épidémies réapparurent par cycles, favorisées par les avances de la traite. L’impact est aussi moral: des familles, des clans, des confréries disparaissent, ainsi que les fonctions sociales qu’ils remplissaient. La vie sociale devient étouffante. De surcroît, les épidémies heurtent les convictions indiennes: qu’en est-il de l’harmonie avec l’univers? La fierté et la dureté de la force indienne? L’Indien ne croit plus, et des destructions d’objets collectifs, des vagues de suicides suivent ces épidémies. Surgit le besoin de surmonter la défaite qui se traduit par une attitude nouvelle d’hostilité au monde et qui trouve un exutoire dans la chasse pour le commerce européen et la guerre.Économiquement, la traite va entraîner l’Indien dans un déséquilibre sans fin. La production prend de plus en plus de temps alors que le gibier se raréfie, les activités traditionnelles sont délaissées, ce qui amène une spécialisation et a pour conséquence une fragilité économique plus grande. Le problème du rendement rendu plus aigu par la réduction de la population et le manque d’entraide amène la nécessité de recourir aux armes et aux outils européens, et, comme ils deviennent de plus en plus chers, il faut produire plus. L’Indien qui a perdu son rapport aux objets du monde se retrouve démuni; l’hostilité augmente. Les cultures uniformisées n’ont plus rien à échanger, les tribus se referment sur elles-mêmes, s’appauvrissent; des leaders apparaissent, les hommes deviennent dépendants. L’impact européen, qui a surtout touché les hommes, fait retomber les activités domestiques sur les femmes, introduisant une rivalité entre les sexes, une perte du sens général de l’existence collective, et retentissant sur la socialisation des enfants. La criminalité augmente surtout là où l’influence coloniale est la plus forte.Les guerres tribales et la crise des sociétés indiennesLes relations entre les tribus étaient faites d’amitié et d’échanges: les incidents étaient rares, de portée limitée, et rapidement résolus. Au XVIe siècle, les Indiens, essayant de fuir la plupart du temps, sont vaincus à tout coup par les conquistadores. Alors que la littérature parle de conflits héréditaires, ces guerres peuvent être précisément datées, et coïncident avec l’extension de l’influence coloniale.On peut distinguer deux foyers: l’un qui s’étend de la côte atlantique vers l’intérieur, le long des voies de la traite, déterminé par l’usage du fusil, l’autre à partir du Mexique avec l’utilisation du cheval. Lorsque, au XVIIIe siècle, la frontière du fusil et celle du cheval se rencontrèrent, naquit la culture indienne, popularisée et déformée par le western. Sur la côte atlantique, les conflits issus du commerce suscitèrent des rivalités pour le contrôle des voies fluviales. Les Hurons et les Algonkins s’opposèrent à propos du Saint-Laurent, entraînant la migration vers l’ouest des peuples de la vallée de l’Ohio et du Michigan; de nouveaux conflits surgirent avec ceux de la haute vallée du Mississippi (Minnesota, Manitoba), qui provoquèrent la migration des Crow, Cheyennes, Arapahos, Sioux, déplaçant à leur tour les Shoshones. Un autre foyer se développa dans le sud des États-Unis actuels, autour des missions espagnoles de Floride, entre Indiens convertis et « païens ». Les troubles s’aggravèrent au XVIIe siècle, avec l’afflux des tribus qui fuyaient la vallée de l’Ohio.Les expansions espagnoles sont fondées sur le ranch et la mine, par l’exploitation d’une main-d’œuvre esclave indienne. Une première réaction contre l’exploitation, ainsi que de survie économique, amène les guerres chichimèques et marque la première utilisation du cheval par les Indiens. Pour les pacifier se développe le système des missions. Pour échapper à la mission et aux raids, pour survivre dans un pays pauvre et semi-désertique, les chevaux sont indispensables, et pour se les procurer il faut vendre des esclaves pris à des groupes plus éloignés. Ainsi la situation se propage dans d’autres régions, atteint le sud du Texas dès le début du XVIIe siècle. Par ailleurs, la chasse pour les peaux de bison provoque d’amples mouvements de cet animal nomade, entraînant le nomadisme de certaines populations et de nouveaux conflits territoriaux.Les guerres tribales ont pour origine essentiellement les épidémies; la guerre, comme le commerce, provoque une évolution dans le sens d’une coupure entre les hommes et du développement du rôle et de l’influence des chefs de guerre. Il n’y avait pas de centres de pouvoir dans les sociétés indiennes. La guerre était une réalité nouvelle opposant des gens qui, il y a peu, se rencontraient et se considéraient comme parents. Enfin il y avait ce climat de fin de monde, le choc des épidémies, cette présence du monde blanc qui n’était qu’agression, dont tous les aspects allaient à l’encontre des convictions indiennes, et qui pourtant semblait triompher et s’étendre.Les Indiens ne disposaient pas de tradition de coercition pour combattre l’impact du choc colonial. Par ailleurs, leur attitude spontanée qui était d’aller à la rencontre des Européens, d’échanger, de faire alliance, et d’accueillir les missionnaires, devint impossible. Il leur fallut s’opposer, ce qui les mit en contradiction avec eux-mêmes. Des clivages apparaissent alors dans la plupart des tribus, que les Européens appellent « progressistes », favorables au contact avec les Blancs, et d’autres qui sont hostiles; ce qu’il faut comprendre, c’est que, favorables ou hostiles, ce sont les représentants d’une crise identique, de même que l’apparition de groupes idéologiques en concurrence. Développement du machisme, pouvoir personnel, politisation, tendances à la richesse, rivalités, rapports d’hostilité et d’exploitation avec le monde naturel, utilisation d’objets acquis par la voie commerciale, perte d’autonomie, développement des mentalités religieuses, tous ces comportements nouveaux tendent à faire ressembler le monde indien à celui des colons.Le renouveau indienCependant la crise est surmontée. De façon générale, les civilisations indiennes se relèvent. Renouveau qui n’est pas retour au passé, mais assimilation des influences coloniales, émergence d’indianités nouvelles qui se développent sur la base d’une réaffirmation des valeurs traditionnelles dans les conditions nouvelles issues de la colonisation, permettant en même temps la création d’outils proprement indiens, qui rendent possible la lutte contre les influences et les menaces directes émanant du monde colonial.La fondation des confédérationsDifférents incidents marquent et symbolisent ce renouveau. Dans la région des Grands Lacs, c’est la Confédération iroquoise (1649-1655) et la constitution de la première force politique indienne, capable de traiter d’égal à égal avec les Blancs. Dans le courant du XVIIIe siècle, les Iroquois accueillent en leur sein de nombreux groupes d’Indiens déplacés, développent un large réseau d’alliance indienne. La force iroquoise s’appuie d’abord sur un message spirituel contenu dans le récit de la formation de la Ligue et qui est une réaffirmation des traditions indiennes. C’est en recréant les conditions d’un partage culturel, et non par une solution politique, que les Iroquois se fédèrent.À l’exemple des Iroquois s’ébauchent ou se fondent d’autres confédérations. La vallée de l’Ohio, vidée de ses habitants au XVIIe siècle, est réoccupée au début du XVIIIe par différentes nations venues ou revenues de l’Ouest après la paix avec les Iroquois ou Delaware ou les Shawnee. La Confédération creek regroupe une quarantaine de villages-tribus de Georgie et d’Alabama. Les Creeks, d’ailleurs en contact avec les Iroquois, jouent au Sud un rôle analogue à celui des Iroquois dans le Nord. Les leaders apparus à la faveur des troubles coloniaux continuent de jouer un rôle important, mais leur pouvoir ne s’installe pas; il y a, en revanche, un intense développement du rituel associé aux tâches politiques. Les chefs de tribus ne se rencontrent pas seuls mais avec les populations; le politique rétablit ainsi des contacts rompus. Dans le cadre des confédérations, unions non unitaires, se détermine une efficacité politique incontestable. Les Indiens imposent sur le terrain qu’on les traite en nation. Ils imposent le traité, et la forme prédominante du traité n’est pas la forme européenne du contrat juridique mais la forme indienne de la relation et de l’échange périodique. Les Indiens tirent pleinement profit de la rivalité politique franco-anglaise. Au-delà, leur perspective, devant l’obstination des Blancs, demeure lointaine, bien qu’affirmée par de nombreux leaders: pacifier les Européens eux-mêmes, obtenir des Français et des Anglais qu’ils cessent leurs conflits et vivent en bon voisinage dans un monde où l’identité de chacun serait respectée et où les hommes et les produits pourraient circuler librement.Un nouvel équilibre démographiqueSur le plan économique, les effets destructeurs de la traite s’apaisent. La demande indienne ne progresse plus, ne s’étend pas à de nouveaux objets ou marchandises, la mentalité économique européenne ne pénètre plus dans les tribus où l’échange reste réglé par le don. Les Indiens intègrent le fait de la présence des Blancs en intégrant les objets des Blancs, mais ils maintiennent des valeurs et un style de vie particuliers. Ils ont désormais partiellement reconnu le fait de la frontière blanche, leur communauté d’intérêts et de culture face au monde blanc.Tel est donc le sens des renouveaux culturels indiens. Le processus de dissolution culturelle est maîtrisé: les civilisations indiennes sont formellement très différentes de ce qu’elles étaient un siècle plus tôt. Mais elles demeurent dans la lignée de leur histoire. Même si les Indiens sont parfaitement conscients de ce qui les oppose au monde civilisé, si en cela ils continuent à donner une leçon au monde colonial, ils ne s’y opposent pas, ils l’intègrent.La révolution américaineCe monde de colons venus d’Europe avec l’espoir d’une vie ou d’un monde nouveau n’ont recréé en Amérique que ce qu’ils avaient connu en Europe et avaient fui, les oppressions sociales, politiques ou religieuses. Ces contradictions aboutissent à la révolution américaine, ultime et vaine tentative de retrouver ce rêve de liberté, qui écrase ceux qui auraient pu les aider, les Indiens. Le gouvernement fédéral des nouveaux États-Unis intervient pour obtenir des Indiens des traités de cession, mais ces traités sont violés; le gouvernement fédéral utilise la force, et il en ira ainsi jusqu’en 1871, quand la politique des traités sera abandonnée.Dans un premier temps, la politique fédérale continue celle de l’époque de la colonisation. Une frontière indienne permanente est établie le long de la frontière ouest des États situés sur la rive droite du Mississippi, où l’on se propose de déporter tous les Indiens de l’Est. La fin de la période coloniale voyait la reconnaissance partielle des souverainetés territoriales et politiques indiennes. Mais il s’est produit un fait que les Indiens ne pouvaient imaginer: un trait de plume supprima la présence française. Or la prospérité économique des tribus, d’une part, leur indépendance politique, d’autre part, reposaient sur le jeu de balance que leur permettait la rivalité franco-anglaise. Dès le début, l’opinion coloniale est anti-indienne, la politique indienne étant l’un des facteurs de rupture avec l’Angleterre, tandis que l’envahissement des terres indiennes provoque entre colons et Indiens un état permanent de guérilla sur la frontière, qui se poursuit pendant la révolution. Au sortir de la guerre d’Indépendance, l’affrontement semble inévitable.Les Iroquois cessent momentanément de jouer un rôle. Pendant la révolution, les Oneida prennent le parti américain, les autres nations le parti anglais. La Ligue sort ruinée de la guerre. Comme une partie de sa population va s’installer au Canada, en territoire anglais, elle reste coupée en deux. Les Indiens de l’Ohio s’organisent. Une confédération se forme officiellement en 1785, regroupant, entre autres, Delaware, Shawnees, Miamis, Potawatomis, Ottawas, etc.; des demandes claires sont adressées aux États-Unis: abrogation des traités signés après l’indépendance, reconnaissance de la Confédération, avec l’Ohio comme frontière, affirmation du principe que la terre est le bien commun de toutes les tribus.La conquêteNe parvenant pas à faire éclater la Confédération, les États-Unis optent pour la guerre. Dans le Sud, les tribus qui comptent dans leurs rangs une importante population métisse se sont divisées entre ceux qui sont partisans d’une politique de conciliation et d’adaptation culturelle et ceux qui sont partisans d’une opposition plus ferme. Ces divisions, auxquelles s’ajoutent les intrigues espagnoles et américaines, font échouer les projets d’alliance avec les Indiens du Nord. Les Indiens signent une série de traités qui sont autant de défaites et d’abandons territoriaux. Les territoires qu’ils défendent ont été officiellement reconnus par l’Angleterre et l’Espagne aux États-Unis. Une fois acquise la Louisiane, alors tout le bassin occidental du Mississippi, les États-Unis ont la voie libre. Les groupes indiens sont chargés de dettes envers les compagnies commerciales de toute obédience, et le gouvernement américain promeut cette politique d’endettement. De plus en plus, le gouvernement et le monde américain interviennent à l’intérieur des tribus. C’est le début des programmes pour les Indiens, le début des missions américaines protestantes et des programmes d’assimilation. Quelques leaders agissant ici et là parviennent à retarder le cours des choses. Mais, quand ils disparaissent, c’est le vide. La défaite des traditionalistes entraîne des cessions de terres pour tous les groupes du Sud. Devant le danger, ils font un effort spectaculaire d’adaptation qui leur vaudra le nom de tribus civilisées, évolution qui est la plus spectaculaire chez les Cherokee: ils réalisent une alliance entre leur minorité culturelle et métisse, de culture largement américaine, et la majorité indienne. La nouvelle cohésion des Cherokee se manifeste dans leur longue résistance à la déportation, par des moyens légaux. Efforts vains. Dans les années 1830, les nations du Sud, sous la pression des armes, doivent prendre le chemin de l’Oklahoma. Seuls, les Séminoles, en Floride, résistent farouchement. Le Texas entre dans l’Union, les États-Unis conquièrent le Nouveau-Mexique, l’Utah, le Nevada, l’Arizona, la Californie, territoire que le Mexique ne possédait que partiellement, et les États-Unis règlent diplomatiquement la question de leur frontière nord avec l’Angleterre. Le Bureau des affaires indiennes, créé quelques années plus tôt au sein du ministère de la Guerre, passe au ministère de l’Intérieur. La politique des réserves est instituée, et, finalement, en 1871, la loi budgétaire indienne abolit le statut souverain des nations indigènes et ouvre légalement la période moderne. Parallèlement, la conquête se fait. Dès les années 1810, les premiers convois d’émigrants traversent le continent vers l’Oregon, puis à partir de 1849 en direction de la Californie de la ruée vers l’or, peuplent le Nevada, le Colorado, l’Idaho, le Washington, l’Arizona, le Nouveau-Mexique, tandis que le front agricole progresse le long des affluents occidentaux du Mississippi et que les « empires » du bétail se développent au Texas. Le traitement des Indiens est très différent selon les régions. En Californie, la ruée vers l’or aboutit à un véritable génocide; dans le Sud-Ouest, la pression coloniale est peu forte vu la nature aride du milieu; le seul problème est celui des nations incontrôlées, les groupes de langue apache ; pris entre le Mexique et les États-Unis, les Apaches sont vaincus en 1880. C’est dans les Plaines que se situent les derniers affrontements. Les occupants originels des Plaines, Shoshones, Apaches, en avaient été progressivement chassés par les migrations. À l’est des Plaines étaient restées des populations sédentaires d’économie mixte, et dans ces conditions émerge une culture vigoureuse, indice de la puissance créatrice indienne. La déportation des Indiens de l’Est, leur concurrence avec les populations autochtones des Plaines, le passage des pionniers contribuèrent à la diminution rapide du bison. Les tribus des Plaines furent à nouveau victimes d’épidémies dévastatrices pendant tout le XIXe siècle. L’histoire se répète. Cession après cession, les tribus doivent abandonner leurs terres. Deux grands systèmes d’alliance réunissent au nord les Sioux, les Cheyennes du Nord et les Arapahos, au sud les Comanches, les Kiowas, les Kiowas-Apaches, les Cheyennes et les Arapahos du Sud. Les Indiens sont vaincus et placés dans des réserves, les nations du Sud en Oklahoma.Au Canada, la moindre pression démographique facilita la résolution des problèmes. La traite des fourrures désormais générale et monopolisée par la Compagnie de la baie d’Hudson (C. B. H.), il put s’établir un compromis entre l’économie traditionnelle et la participation à la traite.À la fin du XIXe siècle, l’Amérique du Nord, à l’exception des régions septentrionales, était donc « blanche ». Mais les cultures et la volonté indiennes n’étaient pas brisées. Les Indiens préférant la vie à la mort étaient prêts à tenter l’adaptation aux conditions nouvelles du monde. La fin de la conquête ouvre une période, tant aux États-Unis qu’au Canada, de dictature culturelle, qui va durablement briser leur adaptation au monde moderne.La dictature culturelleUne série de mesures législatives a pour effet de placer entièrement et totalement les nations indiennes reconnues par le gouvernement sous la tutelle de celui-ci. Les Indiens non reconnus sont abandonnés à leur sort. Le même statut est établi au Canada par la loi sur les Indiens. Le ministère de tutelle gère les fonds et les terres des tribus. L’Indien est considéré comme un mineur qui doit être protégé et pris en charge. L’objectif déclaré est la disparition des réserves et des collectivités indiennes, par l’assimilation individuelle à la population américaine.Le premier volet de la politique d’assimilation est la loi de lotissement des Indiens ou loi Dawes de 1887: elle prévoyait la dissolution des réserves. Chaque famille devait recevoir 180 acres (64 ha), la terre ne devait pas être vendue pendant vingt-cinq ans. Elle visait particulièrement les tribus qui s’étaient signalées dans la résistance à la conquête, les tribus des Plaines. Dans le Sud-Ouest, l’absurdité de distribuer des morceaux de désert rendit la loi inapplicable. La loi eut des résultats catastrophiques: les terres indiennes diminuèrent des deux tiers de 1887 à 1931, les bases même de l’identité tribale, l’identification collective au territoire étaient atteintes. Le gouvernement fédéral confisqua de nombreuses terres pour la construction de barrages ou de voies de chemins de fer. Ailleurs, les Blancs accaparèrent les ressources en eau ou usurpèrent les droits de pêche.L’autre grand volet de la politique d’assimilation fut l’éducation. Les enfants indiens furent rassemblés en dehors de toute affiliation tribale dans des pensionnats, afin qu’ils soient coupés de leur milieu d’origine. Il s’agissait essentiellement de faire disparaître ce qui était indien. Le contenu positif de l’enseignement était secondaire, visant à donner une formation professionnelle de petits artisans aux garçons et de ménagères aux filles. Les enfants furent recrutés de force pour les pensionnats. Les Indiens n’étaient nullement opposés à l’éducation, mais ils désiraient qu’elle se fît dans le cadre tribal et sur les réserves. En 1910, il y avait ainsi de nombreuses tribus où 75 p. 100 de la population de plus de vingt ans était « analphabète » alors que dans celle des moins de vingt ans la proportion était inférieure à 5 p. 100. La volonté de couper les jeunes Indiens de leur passé national était évidente. La brutalité des méthodes, la violation systématique des consciences aboutirent à une non-éducation; on leur apprit systématiquement à mépriser un passé synonyme d’humiliation et de souffrance, et on leur donna un présent de terreur et d’intimidation. Après la Première Guerre mondiale, le taux de scolarisation stagna; on adopta alors une politique discriminatoire.La lutte contre l’indianité fut également menée dans les réserves. Les Indiens avaient un quasi-statut de prisonniers de guerre qui leur interdisait toute liberté. Ces pratiques s’ajoutant à la paupérisation créèrent une situation sanitaire catastrophique. La seule issue était de quitter la réserve. De 1890 à 1910, la proportion des Indiens officiellement citoyens américains passa de 24 p. 100 à 75 p. 100. L’acte de 1924 qui « naturalisait » tous les Indiens était l’aboutissement d’une politique d’annexion. Dans le même temps, la proportion d’Indiens vivant en zone urbaine passa de 4 p. 100 en 1910 à 12 p. 100 en 1930.Le résultat de cette période crée le problème indien. La politique a systématiquement échoué à assimiler les Indiens, mais elle a paralysé leur possibilité d’adaptation au monde contemporain. Le mythe attribue les problèmes des communautés indiennes d’aujourd’hui à l’inadaptation foncière des populations primitives, au choc représenté pour des peuples « préhistoriques » par leur passage au monde moderne, alors que l’adaptation indienne fut sabotée là où elle put s’ébaucher et paralysée ailleurs. Le paupérisme indien est une création politique des administrations américaines et canadiennes, un élément du contrôle des populations indigènes, une expression du refus de laisser se développer des modèles socio-économiques ressentis comme subversifs. Beaucoup plus que la défaite militaire, c’est cette période qui traumatisa les Indiens. Ce n’étaient pas des hommes de la préhistoire qui étaient confrontés soudain aux réalités du monde moderne; c’étaient des nations qui depuis quatre siècles étaient confrontées aux désordres aveuglément provoqués par ce monde et qui, à la différence de celui-ci, les avaient largement surmontés, conservant un mode social qui n’existe en Europe que dans les utopies.Le XXe siècleLa période libéraleLa situation se débloque partiellement dans les années vingt. Les répercussions morales de la Première Guerre mondiale remettent en cause la croyance aveugle dans le progrès linéaire de la civilisation. On passe de la volonté de civiliser au désir d’aider, de faire justice. Avec l’arrivée au pouvoir de l’administration Roosevelt et la nomination à la tête du B.I.A. de John Collier une nouvelle politique va se mettre en place. John Collier était sincèrement décidé à œuvrer pour le bien des Indiens. Mais, comme la plupart des Blancs libéraux, son désir ardent lui fit oublier que les Indiens pouvaient s’aider eux-mêmes. De plus, son action se trouva rapidement paralysée par l’opposition qu’il rencontra au Congrès. Cette action tenait essentiellement dans la loi de réorganisation indienne (I.R.A.) qu’il fit adopter (amendée) en 1934. Il mit fin à la loi Dawes et rétablit le statut fédéral sur les lots individuels; des dispositions furent également prises pour racheter des terres et un système de prêt mis en place pour aider au développement des réserves. Le second point de l’I.R.A. visait à rendre un certain degré d’autonomie et de gouvernement aux groupes indiens qui adopteraient des constitutions permettant d’établir un gouvernement représentatif sous la forme de conseils tribaux. En fait l’I.R.A. ne rendait que fort peu d’autorité aux Indiens. Les constitutions mais aussi toutes les décisions des conseils tribaux doivent recevoir l’assentiment du B.I.A. pour être exécutables. Par ailleurs, l’I.R.A. rencontra l’opposition de la plupart des traditionalistes qui se manifesta à la façon indienne: ils ne participèrent pas aux élections. L’I.R.A. continue d’être une politique d’assimilation culturelle en imposant une forme de gouvernement copiée sur celle des Blancs. Non seulement le système représentatif était étranger aux Indiens mais, dans des sociétés encore largement régies par les règles de parenté, il ne pouvait que mal fonctionner et aboutir au népotisme. Dans de nombreuses réserves deux formes de « gouvernement » continuent de coexister: les structures traditionnelles, ignorées par le B.I.A., et les conseils tribaux, souvent élus par une poignée d’électeurs, mais seuls reconnus. Depuis lors, la réalité collective des nations indiennes s’est effacée aux yeux des administrateurs derrière la réalité politique des conseils tribaux manipulables; ils sont devenus un nouveau moyen de pression sur les communautés indiennes. Les conseils tribaux en instituant la règle majoritaire continuent, sur le plan politique, la politique de désintégration des tribus commencée sur le plan territorial par la loi Dawes. En 1970, sur 282 conseils tribaux, Alaska non compris, 179 fonctionnaient d’après une constitution et 83 sous d’autres formes.Un nouveau durcissement: la loi de terminaisonLa fin de la Seconde Guerre mondiale inaugure un nouveau durcissement en parallèle avec l’évolution générale de la politique américaine. C’est l’époque de la guerre froide, du maccarthysme, qui donne lieu à des dénonciations du caractère non américain et socialiste des tribus. Il s’agit de libérer les Indiens de la tutelle du B.I.A.; le discours aboutit à deux mesures prises en 1953. Une première loi prévoit l’extension aux réserves de la juridiction des États; or les législatures locales représentant les groupes d’intérêts locaux sont beaucoup plus hostiles aux tribus, ainsi sont définitivement supprimés les restes du statut souverain des peuples indigènes. La seconde est la loi de Termination (loi de terminaison), qui met fin au statut particulier des nations indiennes en supprimant leurs liens particuliers avec le gouvernement fédéral, les réserves et l’organisation tribale. Peu après la fin de la guerre est créée la Commission des griefs indiens, chargée de réparer les torts et préjudices causés; il s’agit de liquider le passé. Au niveau scolaire, la politique d’assimilation des enfants indiens dans les écoles publiques se poursuit. Dans les années 1950 se développe une politique favorisant l’émigration indienne vers les zones urbanisées et hors des réserves. On fournit une formation minimale, parfois un programme de logement, ensuite c’est aux Indiens d’agir. En 1900, il fallait faire d’eux des petits paysans, en 1950 il faut en faire des prolétaires urbains; dans les villes, ils s’adaptent mal, par manque de formation, de goût ou d’aptitude, au système de compétition individuelle, et en raison du racisme et de la discrimination qui entraînent la formation de ghettos indiens ainsi que de la violence. Au début des années 1980, environ la moitié des Indiens affiliés aux groupes reconnus par le gouvernement américain réside dans les villes, le plus grand nombre en Californie.Situation socio-économiqueAvec l’administration Kennedy, la politique de terminaison est mise en sourdine sans être officiellement annulée. La théorie officielle, qui continue sous l’administration Nixon, est celle de l’autodétermination des Indiens; elle consiste à faire entrer un plus grand nombre d’Indiens dans le personnel du B.I.A. Parallèlement, on tend à présenter le problème indien comme un simple problème socio-économique, réclamant des mesures administratives et pouvant être résolu en termes de droits politiques et de niveau de vie; est menée également une politique de développement des réserves favorisée par subventions d’implantation d’industries. Le nombre des entreprises commerciales ou industrielles basées en territoire indien est passé de 8 en 1960 à 245 en 1971, mais moins de la moitié des 16 700 emplois ainsi créés étaient allés aux Indiens.Le taux de chômage était de 37 p. 100 dans les réserves (plus 18 p. 100 de chômage saisonnier) contre 5 p. 100 pour l’ensemble des États-Unis. Même situation au Canada où en 1970 le chômage des Indiens était de 50 p. 100 contre 6 p. 100 pour l’ensemble de la population. Il n’y a plus guère que certains Eskimos, les plus septentrionaux du Canada, à pouvoir encore compter sur les ressources traditionnelles. Une proportion importante d’Indiens vit uniquement d’assistance. La population indienne est passée, États-Unis et Canada confondus, d’un peu moins de 500 000 individus en 1930 à près de 2 500 000 aujourd’hui. Cette croissance est due à divers facteurs: amélioration récente des conditions de santé, réaction vitale de minorités menacées, expression des déséquilibres de la vie indienne. Le taux d’emploi varie considérablement selon les groupes. Certains ont pu s’intégrer à des activités proches de leurs activités traditionnelles. D’autres sont spécialisés dans certains types de travaux. Les facteurs de chômage sont l’isolement, les barrières linguistiques, le manque de formation, la discrimination. La majorité des Indiens continue de penser économiquement en termes différents des Blancs. En réalité, sur tous les plans (logement, emploi, santé, éducation, ressources), les Indiens, globalement, se retrouvent au plus bas niveau. Le taux d’échec scolaire est très élevé. Les problèmes de santé, quoique sensiblement atténués, restent prédominants. En 1955, le taux de mortalité infantile, tombé de 62,5 p. 100 à 23 p. 100, reste sensiblement supérieur à la moyenne américaine. Le nombre des Indiens dans les prisons est élevé. Le taux de suicide est le double de la moyenne nationale tant aux États-Unis qu’au Canada.La situation des Indiens reste culturellement, économiquement et juridiquement très diverse. Statutairement, ils sont citoyens canadiens et américains. Cette citoyenneté leur donne un droit de vote, mais le vote indien signifie peu de chose. Ils n’ont aucune existence officielle même si leur réalité culturelle et collective peut être bien marquée.Le CanadaL’administration des réserves indiennes, jusque-là de la compétence du gouvernement anglais, est passée à la province du Canada en 1860. Dans les provinces maritimes, les Indiens subirent sans grand dommage la présence française.La colonisationAprès la défaite française, la colonisation se développa. Des réserves furent créées, mais les interventions sur le mode de vie, le déclin du commerce des fourrures, et l’accaparement les réduisirent à un état de prolétariat rural. Dans la vallée du Saint-Laurent, les Français s’installèrent dans une région déjà vidée de ses habitants. Pour des raisons diverses, des groupes d’Indiens, Abenakis, Iroquois, Hurons, vinrent s’installer parmi eux. Plus à l’ouest, le long des rives nord et est des lacs Huron, Érié et Ontario, la pression sur les terres ne commença qu’après la révolution américaine. De 1781 à 1862, une série de traités furent signés par le gouvernement anglais, puis par la province du Canada, pour l’établissement de réserves allant soit aux groupes autochtones, soit à des Indiens réfugiés venus des États-Unis, tels les Iroquois, les Potawaromis, les Delaware. Dans certaines régions où la pression coloniale fut moins grande, les Indiens conservèrent l’accès à leurs territoires de chasse. À l’ouest des Grands Lacs, dans la région des Plaines canadiennes, la situation était la même. La traite avait bouleversé la répartition des populations, la règle était la dispersion en petits groupes, ou bandes, réunis derrière des leaders tacitement admis. Enfin, des Sioux se réfugièrent au Canada en 1862 puis en 1876-1877 à la suite de conflits avec les États-Unis. De 1871 à 1877, sept traités furent conclus concernant le sud-ouest de l’Ontario, le sud du Manitoba, l’Alberta et la Saskatchewan. Parallèlement s’organisait la mise en tutelle politique. Dans l’Est, la réduction des Indiens sur réserve, à la fin du XVIIIe et au cours de la première moitié du XIXe siècle, s’accompagna aussitôt d’une pression acculturatrice, cependant moins forte et moins soutenue qu’aux États-Unis en raison de la moindre pression démographique et de la colonisation plus récente et sans conflits majeurs avec les Indiens. Le XIXe siècle est une période de paupérisation, de perte d’accès aux ressources traditionnelles. L’objectif gouvernemental fut d’amener les Indiens à l’émancipation, par laquelle ils perdaient leur statut indien et devenaient citoyens. Après 1872, l’accent est mis sur la politique d’intégration. En 1860, la province du Canada reçut la responsabilité des Affaires indiennes, qui devint ensuite celle de la Confédération canadienne officiellement créée en 1867. La Colombie britannique la rejoignit en 1871. En 1876, la législation est unifiée sur des bases antérieures avec l’adoption de la loi sur les Indiens, qui, modifiée en 1951, continue de régir le statut des Indiens inscrits. Depuis cette période, l’administration des Affaires indiennes soit relève d’un ministère indépendant, soit, comme c’est le cas présentement, est rattachée à un ministère plus large. La C.B.H. avait reçu juridiction sur la terre de Rupert en 1670. Il n’y avait eu mouvement de colonisation qu’à partir de 1812, dans la région de la rivière Rouge. Le développement de la population était surtout le fait de métis semi-nomades. La C.B.H. perdit progressivement juridiction sur ses vastes territoires dont se détacha d’abord la Colombie britannique en 1858. Le rattachement au Canada en 1869 entraîna l’annexion du Manitoba. La juridiction de la C.B.H. s’étendait sur le nord du Québec, de l’Ontario et sur les Territoires de l’Ouest jusqu’aux Rocheuses.Le gouvernement intervient comme aux États-Unis dans l’organisation des communautés indiennes, l’institution de conseils permanents, de chefs qui dépendent de son arbitraire et dont la bonne volonté est gage de faveurs. L’éducation autoritaire est de médiocre qualité. Le problème indien peu apparent est victime de la négligence et de l’oubli. Le gouvernement encourage l’implantation de conseils élus. Le paternalisme bien-pensant est particulièrement pesant et étouffant. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que les pensionnats ont diminué d’importance au profit de l’intégration dans les écoles provinciales. Il y avait en 1974 381 conseils élus et 169 conseils traditionnels.En Colombie britannique, la colonisation a commencé dans les années 1840. Après avoir pratiqué, dans un premier temps, une politique d’achats de terres et de négociations, les autorités adoptèrent comme principe que les Indiens n’avaient aucun droit sur les terres. Après l’adhésion au Canada, la politique officielle des réserves fut à nouveau appliquée, mais les autorités provinciales décrétèrent que leurs Indiens, étant pêcheurs, n’avaient pas besoin de beaucoup de terres. La conquête est calme. Les Indiens sont mis devant le fait accompli, leur situation économique les contraint à négocier.Dans le Nord, quatre traités régleront la situation entre 1899 et 1921: Ontario, Saskatchewan, Alberta et Territoires du Nord-Ouest. Pendant toute la première moitié du XXe siècle, le problème territorial reste cependant sans solution.Le réveil indienDiverses circonstances favorisèrent un rapide réveil des Indiens. Sensibilisés par la question territoriale, tirant profit de la rivalité opposant les missions aux autorités, ils purent maîtriser leur adaptation au monde blanc. Une nouvelle organisation provinciale se forma en Colombie britannique, dans les années trente. Vingt ans plus tard, un certain nombre d’associations avaient vu le jour.La résistance indienne qui se poursuit au cours du XXe siècle est presque totalement isolée. Le All Pueblo Council en 1922 obtint avec le Pueblo Land Act de 1924, la première victoire significative des Indiens au XXe siècle. L’I.R.A. (loi de réorganisation indienne) favorise un renouveau du pan-indianisme avec la fondation du National Congress of American Indians. Avec la Seconde Guerre mondiale, l’évolution essentielle est celle des traditionalistes, ainsi que la prise de conscience que les Indiens ont quelque chose à dire aux Blancs. L’accès à l’université, l’émigration urbaine aboutissent à la formation du National Indian Youth Council en 1961 et de l’American Indian Movement (A.I.M.) en 1968. Les années 1960, le début des années 1970 sont une période d’agitation et de manifestations actives, comme les affrontements de Wounded Knee en 1973. Elles expriment sous des formes plus violentes leurs propres contradictions. Progressivement, ces contradictions s’apaisent, les organisations cèdent consciemment le pas aux tribus. La lutte s’organise autour de deux revendications essentielles, les terres, le statut, qui affirment et démontrent la persistance du fait indien. Elles sont liées à des nécessités ponctuelles d’interventions et d’actions. Les Indiens par ailleurs revendiquent moins qu’ils n’affirment. Ce qu’ils demandent, c’est leur souveraineté. Ils rejettent tous les modèles émanant de la « civilisation », qu’ils soient ceux des sociétés capitalistes libérales ou ceux du monde communiste ou encore ceux des pays colonisés du Tiers Monde. Pour eux, ces trois mondes se ramènent à une société centralisée et hiérarchisée, à des rapports d’exploitation, à un univers de pensées unitaires et hégémoniques. S’ils ne cachent pas leur vision négative de l’American way of life et de la civilisation, s’ils sont conscients qu’une partie au moins de la population blanche peut les entendre, ils n’ont aucun projet pour les Blancs, ils n’en ont pas non plus globalement pour les Indiens.2. Méso-AmériqueL’empire aztèque s’est écroulé le 13 août 1521, jour de la prise de Mexico-Tenochtilán par l’armée d’Hermán Cortés, armée composée en majeure partie d’Indiens désireux de secouer le joug aztèque. Au cours des années suivantes, l’occupation espagnole s’étendit aux autres régions du Mexique et à l’Amérique centrale. Ce furent les Indiens du Yucatán qui résistèrent le plus longtemps aux Espagnols: Tayasal, le dernier État indépendant, ne se rendit qu’à la fin du XVIIe siècle. Avec la conquête disparurent les grandes civilisations dont ces régions avaient été le foyer. Cependant, les Indiens demeuraient nombreux au Mexique et dans la majeure partie de l’Amérique centrale, et ils continuèrent à cultiver la terre (sous la domination espagnole comme auparavant, leur travail était indispensable pour assurer la vie économique du pays). Tout en adoptant, à des degrés divers, la religion, les mœurs, la langue des envahisseurs européens, ils gardèrent leur mode de vie, leur langue, certaines de leurs coutumes. Ainsi est née une culture mixte hispano-indienne, telle qu’on peut l’observer dans de nombreuses régions de cet immense territoire.Actuellement, par suite de la modernisation des différents pays entre lesquels cette zone est divisée, de l’importance croissante de l’urbanisation et du réseau routier, de l’attirance qu’exercent les villes sur les paysans, ces populations sont en pleine transformation, à tous les stades du métissage et de l’acculturation. Cependant, dans cet immense ensemble, certains des habitants sont encore considérés comme des Indiens.Les hommes, la terreLe critère linguistique et culturelLe critère physique n’est pas déterminant: il y a peu d’Indiens « purs ». Le critère linguistique et culturel est plus satisfaisant. On peut adopter la définition du docteur Alphonso Caso, archéologue et anthropologue mexicain: « ... La chose importante n’est pas de définir l’individu comme indien ou non indien. Est indigène une communauté dans laquelle prédominent les éléments somatiques non européens, qui parle de préférence une langue indigène, qui possède dans sa culture matérielle et spirituelle des éléments indigènes en forte proportion et qui, enfin, possède un sens social de communauté isolée au milieu des autres communautés qui l’entourent, qui par cela même se distingue des villages de Blancs ou de métis ».Dans les recensements officiels, l’appartenance à tel ou tel groupe indigène est déterminée par la langue. À l’époque précolombienne, 125 langues étaient parlées au Mexique. Aujourd’hui, plusieurs d’entre elles ont disparu et leur nombre va en diminuant. Cependant, le tableau linguistique actuel correspond dans ses grandes lignes à celui de l’époque précolombienne. On compte au Mexique 46 langues; le total des Mexicains parlant une langue indigène était, en 1967, de 2 300 000 environ (individus âgés de plus de cinq ans) pour une population de 45 671 000 habitants. 1 145 900 ne connaissaient que la langue indigène, 1 183 000 parlaient leur langue et la langue nationale, c’est-à-dire l’espagnol (il faut prendre ces chiffres comme des indications d’ordre de grandeur et non pas dans leur exactitude). Certaines de ces langues montent une vitalité remarquable: le nahuatl est parlé par 670 000 individus: le maya par 328 000, le zapotèque par plus de 226 000 et l’otomi par 200 000.En Amérique centrale, le Guatemala est le pays à plus forte densité de population indigène: 67 p. 100 parlent des langues appartenant à la famille maya. Au Honduras et au Salvador, 40 p. 100 des habitants parlent une langue indigène, 10 p. 100 au Panamá, 4 p. 100 au Nicaragua et seulement 2 p. 100 au Costa Rica. Les langues les plus importantes de l’Amérique centrale (le maya excepté) sont le macro-chibcha, le subtiaba, le cholulteca, le mangue, le lenca, le pipil et le nicarao. La densité de la population indigène n’est pas égale partout. Au Mexique, elle est extrêmement forte au centre, au sud et dans la sierra Madre occidentale. Au Guatemala, c’est une région allant de l’ouest à l’est qui est occupée par les Indiens.Type physiqueUn très petit nombre de groupes indiens peut être considéré comme exempt de tout métissage. On ne peut parler non plus d’une seule « race » indienne. Cependant, l’Indien américain représente un certain type humain dont quelques caractères somatiques se retrouvent dans tous les groupes: la couleur de la peau va d’un jaune clair à un jaune plus foncé. Les yeux, marron ou marron foncé, possèdent un ou plusieurs caractères dits mongoliques: pli de la paupière supérieure, angle externe de l’œil plus haut que l’angle interne, angle interne de l’œil et caroncule lacrymale cachés par un repli de la peau. Le cheveu est noir et raide. La calvitie et la canitie sont rares. Le groupe sanguin O est le plus répandu. L’étude de l’indice nasal fait apparaître que la plupart des Indiens sont mésorhiniens. Ils sont brachycéphales à l’exception des habitants des zones marginales chez lesquels on trouve des dolichocéphales. La taille est très variable: elle va de 170-174 centimètres chez les Yuma, Pima, Papagos, à 155-160 centimètres dans de nombreux groupes, tels les Otomi, les Aztèques, les Maya.La prééminence du maïsÀ l’exception de quelques communautés, les Indiens vivent essentiellement de l’agriculture du maïs. Installés dans les régions les moins favorisées, ils conservent des méthodes de culture traditionnelles, alors que des moyens modernes sont utilisés dans le reste du pays. Les systèmes varient suivant les régions. La technique de la roza , typique des terres chaudes, consiste à couper le sous-bois et la forêt, à laisser sécher la végétation, puis à la brûler avant la saison des pluies (en juin). Le maïs, planté à ce moment-là, est récolté en novembre. Une seconde récolte a lieu en avril. On fait ainsi pendant trois ans trois récoltes d’été puis trois récoltes d’hiver, après quoi la terre repose. Ce système appauvrit le sol, surtout si on ne laisse pas à la forêt le temps de repousser. En terres froides et en terres tempérées, ce sont toujours les mêmes champs qui sont cultivés, avec ou sans fertilisant. Le maïs est semé juste avant les pluies, et la récolte se fait en novembre. Un des systèmes les plus compliqués, qui ne peut être pratiqué que dans des régions marécageuses, est celui de la chinampa (du nahuatl chinamitl : clôture en claies de roseaux). Il consiste à créer des îlots de terre arable en accumulant le limon d’une lagune sur des morceaux de bois et des claies de roseaux. Ces jardins, d’abord flottants, se fixent au fond, à mesure que le niveau de l’eau baisse. On trouve encore des chinampas à Xochimilco, dans les environs de Mexico. Ce procédé de culture des fleurs et des légumes est un des plus intensifs qui existent.Comme instruments agricoles, quelques groupes indiens utilisent l’araire et la charrue. Dans de nombreuses régions, on utilise encore uniquement le bâton à fouir ou coa . La coa , en bois, a une extrémité en pointe, l’autre en forme de pelle; la pelle sert à retourner et à nettoyer la terre; avec la pointe, on creuse les trous qui doivent recevoir les grains.La culture principale est le maïs, base de toute alimentation. Les autres plantes nutritives cultivées dès l’époque précolombienne sont le haricot noir, la calebasse, la tomate, le piment, le chayote; la yucca, le manioc doux (en terres chaudes), l’agave (maguey ) en région sèche. Parmi les fruits, citons l’avocat, le cacao, le zapote, la papaye. De nombreuses plantes alimentaires, inconnues avant la conquête, sont cultivées aujourd’hui: le blé, le riz, le café, la canne à sucre, les agrumes, etc.Quelques Indiens, restes de populations préagricoles du nord du Mexique, vivent encore de la chasse, de la pêche et de la cueillette, tels les Seri qui assurent leur subsistance par la pêche et la cueillette de la pitahaya , sorte de cactus. Les Cucapa font une pâte avec le fruit du mesquite , sorte d’acacia.Dans la quasi-totalité de ce territoire, le maïs est la base de l’alimentation pour toutes les populations rurales (le blé prend la place du maïs dans les villes). Il est consommé, comme à l’époque précolombienne, sous forme de galettes, de tamales , d’atole . Les galettes ou tortillas sont faites d’une pâte de maïs (grains de maïs bouillis dans une eau additionnée de chaux, puis moulus), cuites sur le comal , plaque circulaire en terre cuite. Actuellement, dans les villages les moins pauvres, le maïs n’est plus moulu par les femmes sur le metate (mortier en pierre volcanique), mais dans des moulins. Les tamales sont des petits pains en pâte de maïs, cuits à la vapeur, farcis de viande ou de haricots noirs. L’atole est une bouillie de maïs. En pays maya, on consomme le maïs sous forme de galettes, et aussi sous forme de posol (pâte de maïs diluée dans de l’eau) ou de pinol (maïs grillé et moulu dilué dans de l’eau). Les Indiens mangent les tortillas avec du piment et du sel. Après le maïs, les aliments les plus importants sont les haricots noirs, les deux sortes de tomates, les calebasses, les quelites (herbes comestibles). La viande (dindon, bœuf) est réservée aux repas de fête. Dans le sud du Mexique (pays maya) et en Amérique centrale, le maïs perd de son importance au profit de la patate douce et du manioc doux.Les Indiens sont en général de grands consommateurs d’alcool. Le pulque , d’un usage très répandu sur les hauts plateaux du Mexique, est une boisson alcoolisée faite avec le suc fermenté de l’agave. Dans les régions sans agave, on boit de l’alcool de canne à sucre. Au cours des veillées et les jours de fête, on consomme aussi du café et du chocolat.HabitatIl est fréquent que les communautés indigènes soient cantonnées dans des régions isolées (forêts tropicales, montagnes) d’un accès difficile. Ce n’est cependant pas la règle générale: les Maya du Yucatán habitent un vaste plateau calcaire; la zone montagneuse du Chiapas, occupée par les Tzeltales et les Tzotziles, est traversée par la route panaméricaine qui relie le Mexique au Guatemala. L’habitat, déterminé par les points d’eau, est souvent dispersé. Le village comporte la plupart du temps un centre administratif, économique et religieux où se tient le marché une fois par semaine, et de petites maisons disséminées dans la campagne, quelquefois à plusieurs kilomètres du centre, par groupes de deux ou trois, ce qu’on appelle dans certaines régions du Mexique des ranchos ou des rancherías . Dans la majorité des cas, les Indiens vivent dans les ranchos , alors que le centre est occupé par les métis. C’est au Guatemala que cette distinction entre Indiens et métis, ces derniers désignés sous le nom de Ladinos , est la plus nette.Les habitations sont de types très variés. Les Lacandons des forêts du Chiapas vivent dans des huttes sans mur: un toit de feuilles et de branchages soutenu par des poteaux. La case de certains Otomi, en feuilles d’agave, n’est qu’un abri informe. Chez les Tepehua, les parois de la maison sont faites de deux couches de roseaux dont les interstices sont remplis de torchis, le toit est en chaume. Chez les Indiens bons potiers, le toit conique est recouvert d’une marmite, le toit à deux pentes de plusieurs moitiés de marmites. Sur les hauts plateaux mexicains, l’habitation la plus usuelle est en adobe (briques crues séchées au soleil) avec un toit de tejamanil (planches très minces disposées comme des tuiles). Au Yucatán, la maison est en adobe avec un toit de chaume.En général, les maisons comportent une pièce et une cuisine, une porte et pas de fenêtre. La pièce principale sert de chambre à coucher, de salon, d’oratoire. Le meuble le plus important est l’autel, table recouverte d’une nappe et portant des fleurs et des images de saints. On trouve aussi dans cette pièce des chaises et des bancs, des nattes servant de lit. En pays maya, on dort dans des hamacs. Le centre de la cuisine est le foyer fait de trois pierres. Les principaux ustensiles de cuisine sont le metate et son pilon, le comal , le molcajete ou mortier circulaire, des calebasses, des jarres, des pots, des marmites, des paniers, des éventails à feu. À côté de la maison se dresse souvent une sorte de niche, soit en pierres soit en roseaux, où l’on prend des bains de vapeur, en jetant de l’eau sur des pierres brûlantes. Aujourd’hui comme autrefois, le bain de vapeur est utilisé à des fins hygiéniques, médicales et magiques.TechniquesIl y a quelques années, les Indiens voyageaient surtout à pied. Le réseau routier devenant tous les jours plus important, les Indiens, comme les autres habitants, utilisent de plus en plus les camions et les autocars. On porte toujours les fardeaux à l’aide d’un bandeau frontal: la charge repose sur le dos; le bandeau, posé sur le front, est relié à la charge par des cordes. Ce mode de portage est commun à une grande partie de l’Amérique (Pérou, par exemple).Poterie et vannerieLa fabrication de la poterie de type traditionnel est en voie de régression. Dans de nombreuses régions, comme le Michoacán ou l’État de Guadalajara, on ne trouve plus sur les marchés que des poteries faites au tour. Cependant, les communautés indiennes encore attachées à leurs traditions ont conservé la technique de la poterie façonnée sans l’aide d’un tour, comme à l’époque précolombienne. Les Nahua, les Huaxtèques, les Totonaques, les Tzeltales sont de bons potiers. C’est en général un travail féminin. Les poteries sont de formes et d’usages variés: cruches, marmites, écuelles à deux anses, pots, comales , encensoirs. La potière prépare une pâte, sur le metate , avec de la terre et de l’eau en y ajoutant peu à peu deux sortes de pierres réduites en poudre servant de dégraissant. Pour exécuter un comal , plaque circulaire légèrement concave, la potière étale la pâte sur un vieux comal qui lui sert de moule. Dans la fabrication des pots et des marmites, on marie la technique du moulage et celle du modelage: le fond est fait en moulant de la pâte sur le fond d’un vieux pot, puis il est mis à sécher. Ensuite, la femme monte les parois du vase avec des boudins de pâte, aplanis avec un fragment de bois ou de calebasse. Les anses et le goulot sont également modelés. À Tonalá (Jalisco) et dans les hautes terres du Michoacán, les pots sont réalisés en joignant dans le sens vertical deux demi-poteries concaves. Dans l’Oaxaca et au Chiapas, la poterie est modelée sur une base mobile, le molde (moule). La même sorte de base, appelée kabal , est utilisée en pays maya.La vannerie, fabriquée dans les régions où la végétation s’y prête, est l’objet d’un commerce extrêmement actif. On en trouve sur tous les marchés, de fabrication soit industrielle soit artisanale: paniers, corbeilles, bandeaux frontaux, ceintures, ceintures pour le tissage, chapeaux d’homme, en roseau, en palme, en osier ou en jonc.Filage et tissageLes Indiens abandonnent peu à peu le vêtement traditionnel pour le vêtement de type « européen ». Cependant, très nombreuses sont encore les communautés indigènes où l’on file et où l’on tisse encore des vêtements de modèle ancien.On trouve chez certains Otomi le tissage le plus archaïque: celui de la fibre d’agave ou ixtle . Pour assouplir la fibre d’agave, on la fait cuire, puis on la racle; les fibres ainsi obtenues, séchées et blanchies, sont utilisées pour faire des cordes ou, une fois filées, des petites pèlerines appelées ayates . Les fibres textiles les plus employées sont la laine de mouton (depuis la conquête) et le coton (plante indigène). Les fibres sont filées avec un fuseau constitué d’une baguette de bois et d’un peson, soit en bois, soit en terre cuite.Quelques grandes pièces de tissu (pour la fabrication des sarapes ) sont tissées par les hommes sur un métier à pédales, d’importation européenne. Le tissage traditionnel est une activité réservée aux femmes; il est demeuré semblable, quant à la technique, au tissage précolombien tel qu’il existait non seulement en Amérique moyenne, mais dans presque toute l’Amérique indienne, au Pérou en particulier.La largeur du métier varie suivant celle de la pièce: étroit pour les ceintures, les petites pèlerines, large pour les sarapes et les jupes. C’est un assemblage de fils et de bâtons, instrument qui n’existe que lorsque le travail de la tisserande est commencé. L’ourdissage est la première opération. L’ouvrière tend des fils de chaîne autour de cinq piquets en les enroulant de manière à former deux croisements, autour de chacun desquels elle glisse un fil. Les fils une fois bien tendus, elle place chacune des deux extrémités autour d’un gros bâton. Un des bâtons est attaché à un arbre; aux deux bouts de l’autre, elle passe une ceinture de paille, puis elle s’assied et met la ceinture autour de ses reins. L’ensemble bien tendu devant elle, elle arrange les brins un à un de manière à former une nappe régulière. Puis elle fait le même travail en prenant vers elle le bâton qui était fixé à l’arbre. Cette opération terminée, tout le paquet de fils est plongé dans de l’eau où a cuit du maïs. Ensuite, les fils de nouveau sur les bâtons, elle les dispose, de nouveau les uns à côté des autres. L’ensemble, bien tendu, est mis à sécher au soleil. L’ouvrière a ainsi une ébauche de métier qu’elle dispose comme la première fois. Elle pose sur les fils un bâton portant une ficelle à un bout, ficelle qu’elle fait passer entre les deux couches de fils puis qu’elle attache à l’autre bout de la baguette. Avec l’extrémité libre de la ficelle, elle forme des spires autour de ce bâton no 3 en y comprenant la ficelle qui y est fixée: toute la nappe supérieure est donc tenue sur ce bâton, la couche inférieure n’est pas touchée. La même opération est faite à l’autre bout du métier avec un bâton no 4. Les bâtons 3 et 4 forment les deux extrémités du métier. La femme passe avant le croisement, entre les deux couches de fils, une longue pièce de bois aplatie, le sabre, qui servira, dans la position dressée, à maintenir séparées les deux couches de fils pour y passer le fil de trame, et dans la position couchée à serrer la trame, à mesure que le travail avance. Au-delà du croisement, elle glisse un gros roseau entre les deux couches.Ensuite vient l’opération essentielle puisqu’elle rendra possible le croisement alternatif des fils de chaîne après insertion du fil de trame: le montage de la lame. La femme fixe à une fine baguette du gros fil de coton; elle glisse cette baguette en deçà du croisement entre les deux couches, puis elle passe le gros fil sur la baguette en formant des boucles très lâches dont chacune enferme un fil de la couche supérieure. La femme ramène vers elle cette baguette (la lame) et le gros roseau. Un croisement se formant entre elle et la lame, il y a donc deux croisements. Le métier devient complet lorsque l’ouvrière place un autre bâton à la place du sabre et qu’elle glisse le sabre entre le croisement le plus proche et la lame. Ainsi donc ce métier ne se fait qu’au fur et à mesure que la chaîne est montée. Le travail peut commencer: la femme passe la navette, le sabre dressé, entre les deux couches de fils, soulève la lame, insère le sabre entre les deux couches de fils, sous la lame, glisse la navette et enlève le sabre. Elle tire vers elle le gros roseau, de manière à ramener près d’elle le deuxième croisement, insère le sabre après le croisement, puis la navette, lève la lame, met le sabre entre les deux couches de fils sous la lame, puis la navette, et ainsi de suite... Entre les différentes phases du travail, la tisserande ne cesse de démêler les fils. Le métier lui-même n’est qu’un instrument très imparfait et il n’est pas exagéré de dire que l’ouvrière tisse avec ses mains. Extrêmement simple, il permet de fabriquer des reps et des toiles, des tissus rayés. Il faut de vingt à trente jours pour faire une jupe ou un grand sarape . Le décor des petites pièces est souvent fait à la main en passant un fil plus épais que le fil de trame et en le faisant apparaître et disparaître tour à tour.La technique du tissage qui vient d’être décrite est celle des Nahua de la sierra de Zongolica. Elle est beaucoup plus élaborée chez certains Indiens comme les Otomi, les Tzeltales, les Tzotziles, les Maya des hautes terres du Guatemala, où l’on trouve des décors très compliqués tissés ou brodés. Le décor tissé exige un métier avec de nombreux croisements: on multiplie alors le nombre des lames et des sabres.VêtementLe costume masculin est souvent inspiré du costume européen: pantalon et chemise de cotonnade blanche, chapeau de paille. Les huaraches , sandales à lanière de cuir, ressemblent aux cactli de l’époque précolombienne, bien que leurs semelles soient souvent taillées dans des morceaux de vieux pneus. Dans les hautes terres, les hommes portent le sarape , grand rectangle fait de deux lés (une interruption de la couture qui réunit les deux lés permettant de passer la tête) qui rappelle le manteau d’autrefois. De petites pièces du vêtement masculin sont de type traditionnel: sacs et ceintures des Otomi, à décor tissé; petites pèlerines en ixtle , brodées, des Otomi de la montagne. Le costume des Huichol a pour ces Indiens une importance sociale et religieuse; tous les motifs des petites pièces de leur vêtement (bourses, ceintures, rubans de tête) possèdent une signification symbolique. Au sud, chez les Indiens des hautes terres du Guatemala, le vêtement masculin (culotte en laine noire brodée, pantalon court à fines rayures et à décor polychrome, chemises à décor broché, tissé ou brodé) semble inspiré du costume espagnol de l’époque coloniale.Plusieurs communautés de l’Amérique moyenne (Otomi, Nahua, Mam, Quiché) utilisent des manteaux de pluie, amples capes faites de cordons et de touffes d’herbes imbriqués et disposés en plusieurs couches, tout à fait imperméables.Là où existe encore le tissage de type traditionnel, le vêtement féminin a gardé certains rapports avec le costume ancien: jupe, ceinture, vêtement de buste. La jupe n’est pas « montée »: c’est un anneau que la femme dispose autour d’elle en le maintenant à la taille avec une ceinture tissée. Un des vêtements de buste est le quexquemetl (petite pèlerine faite de deux bandes rectangulaires, le petit côté de l’un des rectangles cousu à l’extrémité du grand côté de l’autre bande), en usage avant la conquête. L’autre vêtement de buste est le huipil , blouse droite plus ou moins longue portée par les femmes des groupes maya. Le quexquemetl est en usage dans le centre et l’est du Mexique. D’autres Indiennes, ainsi que les métisses vivant à la campagne, portent sur un corsage de cotonnade blanche un rebozo , large écharpe à franges de type espagnol.La communautéVie économiqueLes Indiens de l’Amérique moyenne vivent essentiellement de l’agriculture, agriculture plus pauvre, pour chaque région considérée, que celle des populations qui les entourent.À quelques exceptions près, la propriété est individuelle. Chez les Lenca du Honduras toutefois, toute la terre appartient au village. De nombreuses communautés possèdent des terrains communaux, les ejidos . Fréquemment, la parcelle cultivée ne suffit pas à nourrir une famille pendant douze mois et la soudure entre les deux récoltes pose des problèmes difficiles. Très souvent, les hommes vont travailler un mois ou deux dans les plantations plus riches, en dehors de leur communauté. Les difficultés économiques des Indiens sont accrues par le fait qu’en général ils consacrent une partie de leurs ressources à des dépenses destinées à leur assurer une place dans la société. Il leur paraît aussi indispensable de remplir leurs obligations sociales et religieuses que d’assurer la vie matérielle de leur famille. Il est rare que les groupes indigènes vivent en économie fermée. Le commerce est actif à l’intérieur de la communauté, entre les communautés, entre les villages indiens et le monde extérieur (à l’échelon de la province). Les marchés sont très importants et créent des courants constants d’échanges entre les différents villages. L’Indien vient y vendre les produits de sa terre, acheter aux métis (propriétaires en général des boutiques du centre des villages) des produits manufacturés, en premier lieu l’alcool. C’est le boutiquier qui s’enrichit. L’importance des tractations n’est pas égale toute l’année: à son maximum après la récolte du maïs, elle est au plus bas dans le courant de l’été, quand les réserves sont épuisées.AdministrationParfois les villages indiens ont une administration qui ne diffère en rien de celle des autres agglomérations. Dans d’autres endroits, une administration de type traditionnel subsiste: le pouvoir y est exercé soit par un seul homme, soit par un conseil (en général un groupe de vieillards). Le travail de la commune et de la présidence municipale est confié à des hommes désignés par le « gouverneur » ou par le conseil, dont la charge, non rémunérée et obligatoire, dure un an. Aucune loi du pays ne les oblige à accepter cette charge, mais la force de la tradition est telle que personne ne songe à s’y dérober. Ces fonctionnaires (topiles et mayores dans le Mexique central) ainsi que le gouverneur ont pour insigne de leur pouvoir un bâton (topilli en nahuatl) qui revêt parfois, comme dans l’ancien Mexique, un caractère sacré. Les vieillards jouent encore un rôle très important au sein de nombreux groupes, même proches des grandes villes. Les conseils d’anciens, face au « modernisme », assurent la cohésion des villages.Souvent, l’administration officielle et l’administration traditionnelle coexistent. Dans certaines régions, la liaison avec le pouvoir provincial ou national n’est assurée que par un secrétaire de mairie, parlant la langue indigène et l’espagnol et sachant lire et écrire. Les groupes entièrement autonomes sont peu nombreux. Les Mayos, les Tarahumara, les Yaqui ont des « gouvernements » qui dépassent le cadre du village. Leurs chefs représentent les communautés auprès des autorités nationales.Le cycle de vieNaissance et premières annéesLes femmes indiennes les plus « riches » et les plus évoluées louent, pour accoucher, les services d’une guérisseuse-accoucheuse. Dans les familles plus pauvres, la femme accouche, en position accroupie ou à genoux, entourée de son mari et de sa belle-mère. La naissance d’un enfant s’accompagne quelquefois de certaines pratiques: de nombreux Indiens enterrent le placenta loin de l’habitation; les Tepehua l’enterrent dans la maison, avec du sel et du tabac. Les Indiens Tzeltales font boire à la femme sur le point d’accoucher une décoction de queue de sarigue grillée. Très répandue est la coutume de faire prendre à la jeune mère, trois jours après la naissance de l’enfant, un bain de vapeur. L’allaitement de l’enfant se poursuit pendant trois ou quatre ans, les femmes croyant que le fait d’allaiter leur évite une nouvelle grossesse. L’alimentation du bébé est complétée par de la bouillie de maïs (atole ). On trouve des rites de puberté chez les Indiens de Panamá: Cuna de San Blas et Guaymi.Le nomIl existe encore un très petit nombre de groupes dans lesquels chaque individu ne porte, comme avant la conquête, qu’un nom personnel et pas de nom de famille. Tel est le cas chez les Lacandons: chaque Lacandon a un nom individuel auquel s’ajoute celui d’un animal-totem, qu’il a en commun avec les autres membres du groupe; il possède encore un troisième nom, correspondant à l’une des deux phratries, notion qui n’a pas disparu chez ces Indiens. Dans leur immense majorité, les Indiens portent un prénom chrétien (très nombreux sont les Indiens baptisés) et un nom de famille la plupart du temps espagnol. Cependant, il existe des noms de famille en langue indigène par exemple en pays maya et chez les Indiens Nahua.Une croyance très répandue est celle de l’existence d’un animal-compagnon qui, de la naissance à la mort, ne quitte pas l’individu. En pays nahuatl, cet animal-compagnon est appelé le plus souvent tonal , moins fréquemment nahual . Le tonal est l’animal qui correspond à quelqu’un. Si l’animal-compagnon d’un être humain est blessé, est fait prisonnier, ce dernier souffre: si le tonal meurt, l’homme meurt en même temps que lui. Souvent, seul le sorcier sait quel est l’animal-compagnon d’une personne. Chez les Mixtèques, le premier animal qui passe devant la maison d’une accouchée sera l’animal-compagnon du nouveau-né. Chez les Huave, l’accoucheuse jette de la cendre autour de l’habitation; le premier animal dont on trouvera les traces sur la cendre sera l’animal-compagnon de l’enfant.Le baptême chrétien crée une véritable parenté entre les parents de l’enfant et ses parrains: ils deviennent compadres . Ce compadrazgo établit entre eux des liens aussi forts que ceux du sang. Ils se doivent, toute leur vie durant, amitié, estime et assistance.Le mariageL’institution du mariage prend des formes variées suivant le degré d’assimilation des communautés considérées. Chez les Indiens déjà très intégrés à la société mexicaine, le mariage a lieu à l’église et n’est accompagné d’aucune cérémonie de type traditionnel. Seuls les usages concernant la demande en mariage ont survécu sur presque toute l’étendue du territoire. Les parents du jeune homme doivent faire plusieurs visites aux parents de la jeune fille et jamais la demande ne doit être acceptée tout de suite. Ces visites ont toujours lieu la nuit. Les parents du jeune homme se font accompagner d’amis (en général des personnes âgées), habiles dans l’art de la parole, qui prononcent des discours de circonstance pleins de solennité. Dans certains groupes, l’usage veut qu’une réponse affirmative ne soit donnée qu’au bout de la sixième visite. Les enfants doivent accepter les décisions des parents, même si les démarches ont été faites à leur insu.Le mariage, tel qu’il est célébré dans de nombreuses régions, comporte plusieurs phases où se mêlent coutumes anciennes et usages européens: « présentation » de la jeune fille à son fiancé et à ses futurs beaux-parents devant l’autel familial, choix de parrains, messe de mariage, encensement du cortège par les parents du jeune homme, enflorada (action de fleurir) des mariés et des parents avec des colliers de fleurs jaunes, encensement des saints, banquet, danses devant l’autel domestique, discours moraux adressés aux mariés par des parentes âgées, danse de la marraine et de la jeune mariée autour du foyer. Ces grands mariages se célèbrent avec beaucoup de faste. À Mitla (Oaxaca), les danses et les banquets durent une semaine. Les frais sont tellement hors de proportion avec les ressources individuelles que les parents et les parrains ne peuvent y faire face que grâce à un système d’entraide, la gozana ou quelaquetza , qui lie tous les habitants du village: tout le monde participe aux frais, à charge de revanche.Presque partout, même dans les villages où se célèbrent les grands mariages, existe une forme de mariage beaucoup plus simple, union légale comme la première, mais peu coûteuse, les frais se limitant à un échange de cadeaux. C’est la forme adoptée par les Indiens les plus pauvres, et aussi par ceux qui prennent une deuxième ou une troisième femme dans les nombreux groupes où existe la polygamie. Cette union avec une épouse secondaire n’est pas considérée comme un concubinage, mais comme un mariage véritable.Maladie et sorcellerieLa médecine moderne n’a pas pénétré dans les villages indigènes et l’on y fait encore appel aux guérisseurs et aux sorciers. L’attitude des Indiens est partout la même: alors qu’ils reconnaissent des origines naturelles aux maladies bénignes qu’ils soignent essentiellement au moyen d’herbes médicinales, ils attribuent des causes magiques à toutes les maladies graves. Ces causes sont multiples: une substance étrangère peut être introduite dans le corps du malade par des moyens magiques, soit par un sorcier ennemi du malade, soit par un sorcier pour le compte d’un client. Un individu souffre s’il est fait du mal à son animal-compagnon. Une maladie très répandue est la frayeur ou espanto , provoquée par le fait que la terre retient l’âme du malade (après une chute, par exemple). La perte de l’âme est une maladie extrêmement commune (comme chez les Cuna de Panamá). Dans toutes les régions, on croit à l’existence de « mauvais airs » (lointain souvenir des maux attribués au dieu du vent), « airs de maladie » que l’on respire surtout la nuit, imaginés quelquefois comme de petits êtres vivant près de l’eau (Nahua de Tepoztlán). Enfin, les maladies peuvent provenir de ce que les dieux n’ont pas été honorés comme il convenait. Quand ils sont très mécontents de l’attitude des humains, ils envoient des épidémies.Pour se défendre contre toutes ces actions magiques, les Indiens utilisent les services de différentes sortes de sorciers, de guérisseurs ou de prêtres. Le sorcier appelé auprès d’un malade procède d’abord au « lavage pour les mauvais airs », souvent avec un œuf ou une poule noire. Si le sorcier déclare qu’une substance étrangère a été introduite dans le corps du patient, il extrait ce petit objet en le « suçant » avec un tube de roseau (Nahua de Zongolica). Le sorcier Chorti (Guatemala) fait sortir des vers du nez de son malade. Les guérisseurs des Maya de San Antonio (Belize) passent sur le corps du patient des poissons ou des petites galettes, objets sur lesquels la maladie est censée se transférer. Dans la sierra de Zongolica, il existe des guérisseurs spécialisés dans le traitement de la frayeur. La guérisseuse « lave » le malade avec un œuf et une branche de sureau trempée dans de l’alcool, ensuite, depuis l’endroit où s’est produit l’effroi jusqu’à la maison de son client, elle frappe le sol avec un de ses vêtements en disant: « Lève-toi, esprit, lève-toi. » Elle essaie ainsi de faire rentrer l’âme, retenue par la terre, dans le corps du malade.Si la maladie est le fait des divinités , il faut apaiser leur colère par des prières, des offrandes, une ferveur accrue dans la célébration des rites. Chez les Huichol, toutes les maladies sont provoquées par les dieux: la bronchite par le dieu du peyotl, les crachements de sang par la flèche du soleil couchant, les coliques par la déesse des nuages de l’ouest. Le sorcier-guérisseur retire du corps des flèches ou des petites pierres. Presque partout, ce sorcier-guérisseur peut être aussi un sorcier-jeteur de sorts. C’est pourquoi il est à la fois respecté et craint, souvent haï. Tout le monde peut d’ailleurs pratiquer la sorcellerie, chaque personne a le pouvoir de jeter un sort.Rites funérairesLes rites funéraires ont gardé un aspect païen dans certains groupes. Les Tarahumara et les Huichol offrent au mort trois fêtes successives, ces cérémonies formant un ensemble de mesures destinées à l’éloigner définitivement du monde des vivants. Les Tepehua s’efforcent également d’empêcher le retour du mort et les parents du défunt pratiquent des rites de purification.Il est très fréquent, même chez les Indiens christianisés, que l’on donne au mort des objets qui doivent l’aider à voyager dans l’au-delà (Nahua de Zongolica): une galette de maïs, un tube de roseau contenant de l’eau, du cacao, du sel. Le mort pourra manger la galette et boire l’eau; il doit traverser une grande plaine et y rencontrer des moutons; il leur donnera le sel; il paiera le passage d’une rivière avec les grains de cacao.Dans de nombreuses régions, les survivances de rites funéraires anciens sont à peu près inexistantes. Presque partout, une fête chrétienne a pris une grande importance: la fête des Morts du 2 novembre, célébrée aussi bien par les Indiens que par les métis. Ce jour-là, les morts viennent voir les vivants; on dépose de la nourriture au cimetière à leur intention et aussi sur les autels domestiques. En leur honneur, et pour leur donner une impression favorable de la situation de la famille à laquelle ils ont appartenu, on porte des vêtements neufs, on nettoie les maisons. Ce moment de l’année est donc une période d’activité économique très intense, favorisée par le fait qu’elle coïncide avec la récolte du maïs.Vie religieuseLe premier soin des conquérants fut de détruire les religions indiennes et de convertir les Indiens au christianisme. La nouvelle religion, d’abord subie par les indigènes, fut ensuite acceptée volontairement, surtout dans les régions à forte densité de population du Mexique central, où la conquête spirituelle eut lieu très tôt et de manière intensive. Elle se fit avec plus de difficulté en pays maya, dans les lointaines montagnes du Centre, dans les steppes du Nord. Quelques groupes échappèrent à la conversion, d’autres furent à peine touchés. Les Indiens christianisés, c’est-à-dire la grande majorité, n’adoptèrent pas la nouvelle religion sans la modifier plus ou moins, l’adaptant à leur manière de penser. Aujourd’hui, il n’existe donc pas une seule religion dans cette zone, mais plusieurs formes de vie religieuse: catholicisme, catholicisme teinté de paganisme, catholicisme sans polythéisme mais transformé, polythéisme. Quel que soit leur univers religieux, tous les Indiens sont extrêmement pieux et observent avec ferveur leur religion.Les Indiens polythéistes sont une infime minorité. Citons parmi eux les Lacandons, réduits à quelques centaines dans les forêts du Chiapas. Ces Indiens ont une trentaine de divinités, qui sont censées habiter un point précis de leur territoire et qui existent aussi sous forme d’encensoirs en terre cuite auxquels les Indiens rendent un culte. Un certain nombre de Lacandons vont tous les ans en pèlerinage à l’ancienne ville maya de Yaxchilán. Chez les Huichol, où l’influence chrétienne est presque inexistante, on peut dire que le polythéisme est sans limite. L’aspect le plus singulier de leur religion est l’assimilation totale faite entre le maïs, le peyotl et le cerf. Tous les ans, de petits groupes d’Indiens Huichol font un voyage de quarante jours à Real del Catorce (San Luis Potosi) pour aller cueillir du peyotl. Tout au long de l’année se succèdent des fêtes religieuses où sont inextricablement mêlés des cultes agraires en l’honneur du maïs, des cultes en l’honneur du peyotl et de la chasse au cerf.Les Chorti du Guatemala fournissent l’exemple d’une religion où christianisme et paganisme sont confondus. L’église est le centre de la vie religieuse, bien qu’il n’y ait pas de prêtre résidant dans le village. Le plus important des padrinos , spécialistes religieux âgés et respectés, est chargé de faire venir la pluie à la fin du mois d’avril. Les padrinos sont censés avoir reçu la permission, à la fois de Dieu et des divinités païennes, de célébrer toutes les cérémonies en rapport avec l’agriculture et les rites de transition. Dieu est placé au sommet d’un panthéon qui comprend de très nombreux êtres surnaturels, parmi lesquels figurent Chiccham, serpent à la fois unique et innombrable, Ah Q’in, dieu du soleil, de la connaissance et des pouvoirs magiques, les saints patrons des villages et des familles, souvent associés aux divinités païennes. La représentation des dieux païens ayant disparu depuis longtemps, les saints sont les seules divinités qui existent sous une forme matérielle. Dans chaque village, la fête du saint patron est la plus importante de toutes. Dans la même région, les croix tiennent une grande place dans la vie religieuse.Le polythéisme, dont on vient de donner quelques exemples, n’est plus pratiqué que par une petite minorité de groupes indigènes. La religion de la grande masse des Indiens est une religion chrétienne, d’où tout paganisme proprement dit est exclu, et où la première place revient non pas au culte rendu à Dieu, mais à celui rendu aux saints par l’intermédiaire des confréries ou majordomies. Des hommes et des femmes se groupent en association, en vue de célébrer la fête d’une des statues de saints contenues dans l’église. Une fête de majordomie comporte toujours une messe, des danses en l’honneur du saint, des repas et des beuveries. Le majordome, désigné le jour de la fête, se fait aider, financièrement et matériellement, par des diputados . Faire partie d’une majordomie est un grand honneur, une charge et une obligation à laquelle personne ne songe à se soustraire. C’est d’abord l’accomplissement d’un devoir religieux. C’est aussi le moyen pour un individu de faire partie de la société, d’y acquérir un prestige qui sera en rapport avec l’importance des sacrifices consentis.Les fêtes de majordomie sont des cérémonies à l’échelle du village. L’activité religieuse est également intense au niveau de la province et même de la nation. Les Indiens se groupent en confréries de danseurs et de musiciens, se procurent des costumes de fête et se rendent en pèlerinage, quelquefois très loin de chez eux, à un sanctuaire. Pendant plusieurs jours, ils y dansent, chantent, donnent de vraies représentations théâtrales. La danse « des Maures et des Chrétiens » et celle du Volador sont parmi les plus connues. La fête célébrée en l’honneur de la Vierge, dans la basilique de la Vierge de Guadalupe, aux environs de Mexico, attire des pèlerins de tout le pays.3. Amazonie et Guyanes Histoire culturelleLes premiers immigrants nomades, vivant de chasse, de pêche et de cueillette, utilisant pour la confection de leurs outils et de leurs abris surtout des matériaux périssables d’origine végétale ou animale, ont laissé peu de traces. En climat tropical humide, aucune matière organique ne se conserve; seuls, donc, quelques débris osseux et de rares objets lithiques donnent à l’archéologue une bien pauvre idée de l’équipement technique des sociétés préagricoles. Rien n’interdit de supposer que celles-ci ne surent pas, aussi bien que les chasseurs-cueilleurs des temps historiques, tirer parti du milieu naturel. Plusieurs millénaires séparent les vestiges primitifs des tessons qui, vieux d’environ 5 000 ans et provenant des terres basses du nord de la Colombie, prouvent qu’à cette époque une importante étape culturelle avait été franchie. L’introduction de la poterie a, semble-t-il, précédé de beaucoup la domestication des plantes dans le nord-ouest de l’Amazonie. C’est seulement au cours du Ier millénaire avant J.-C., et toujours dans le nord du système Orénoque-Amazone, que la culture du manioc et la fixation en villages sont attestées. À l’embouchure du grand fleuve et dans les Guyanes, en revanche, des indices accréditent l’hypothèse d’une concomitance entre le passage à l’agriculture et la fabrication de la céramique. Plus précisément, les plus anciens fragments de poterie y sont associés à l’habitat semi-sédentaire qu’imposent les activités agricoles et qui contraste avec le nomadisme des chasseurs-cueilleurs.Techniques agricoles et systèmes sociauxPeut-être importées d’Amérique centrale ou des Andes, peut-être inventées localement, les techniques agricoles se sont diffusées dans l’aire de la grande forêt.Elles constituent la base économique de toutes les sociétés amazoniennes. Celles-ci ont réalisé, au cours de leur longue histoire, une remarquable adaptation à leur milieu naturel. Le sol y est pauvre en dépit de son apparente luxuriance, l’agriculture sur brûlis ne donne pas des rendements très élevés dans les conditions où elle est pratiquée ici. Cependant l’immensité de l’espace ouvert a permis, par la dispersion des groupes, de ne pas dépasser un optimum démographique. Quand l’espace est limité, de nouvelles techniques agricoles, assurant le contrôle de l’eau, doivent être mises en œuvre, qui impliquent une organisation sociale hiérarchisée et un pouvoir assez fort pour disposer de la main-d’œuvre. C’est la solution qu’avaient adoptée les insulaires des Antilles et les habitants des plaines côtières de la région circumcaraïbe. Là avaient été édifiées des civilisations en beaucoup de points semblables à celle de l’Amazonie, mais qui en différaient par leurs structures politiques.Une telle organisation s’est implantée aussi, tardivement, dans la grande île de Marajó (47 694 km2), située presque sous l’équateur, à l’embouchure de l’Amazone. Succédant à des « phases culturelles » de type amazonien et plus particulièrement guyanais, la civilisation de Marajó proprement dite a atteint son plein développement au XIIIe ou au XIVe siècle de notre ère. Elle a laissé de superbes poteries polychromes, modelées et peintes aux motifs géométriques, une décoration anthropomorphe et zoomorphe, de nombreux objets et statuettes d’argile dont la destination est inconnue, des tombes luxueuses et des tertres impressionnants (certains ont 8 m de haut, 120 m de long, 40 m de large). Mais les plaines limoneuses de Marajó, formées par les alluvions de l’Amazone, se transforment en lacs et marais à la saison des pluies, puis en campos au sol durci et craquelé par le soleil quand arrive la sécheresse. Aucune trace de canaux de drainage et d’irrigation n’y a été relevée. Rapidement la civilisation de Marajó s’est étiolée, jusqu’à disparaître complètement. On suppose que, originaire des vallées équatoriennes ou colombiennes, pénétrée d’influences andines, transplantée par migration, cette civilisation complexe n’a pas survécu dans un environnement hostile et différent, faute d’y avoir réalisé une nouvelle adaptation. Les raisons de son déclin sont peut-être du même ordre que celles qui ont provoqué la disparition brusque et inexpliquée des établissements maya des plaines tropicales du Guatemala. À l’arrivée des Portugais, le genre de vie des descendants des Marajó ne se distinguait plus guère de celui de leurs voisins amazoniens.Conquête européenne et extinction des IndiensAu moment de la conquête européenne, les Indiens de l’Amazonie et de son pourtour, groupés selon les liens de parenté dans des villages ou de grandes maisons communautaires, vivaient des produits de leurs plantations, de la forêt et des fleuves. Bien qu’il soit très difficile d’évaluer le chiffre de la population avant la venue des Blancs, on estime qu’elle pouvait être dix fois supérieure à celle d’aujourd’hui: un million et demi à deux millions au XVIe siècle, moins de 200 000 maintenant. Depuis quatre siècles, l’histoire des Indiens de l’Amazonie est celle de leur disparition. Épidémies souvent volontairement propagées (au début de ce siècle et récemment encore, on disposait sur les chemins menant aux villages des cadeaux contaminés par la variole ou la rougeole), maladies apparaissant après le passage de visiteurs étrangers, même pacifiques, mais porteurs de germes inconnus dans la forêt, massacres systématiques par le feu ou le poison pour vider de leurs occupants des terres convoitées, travail et regroupements forcés ont été les facteurs de l’extermination des indigènes. Dans la plupart des cas, les survivants du génocide ont été victimes de la désagrégation de leurs structures sociales traditionnelles, provoquée par la volonté missionnaire, la pénétration des aventuriers, le climat d’insécurité entourant même les villages les plus éloignés, le contact omniprésent avec une société marchande et dominatrice qui s’est toujours acharnée à détruire les valeurs qui lui sont étrangères. Aujourd’hui les Indiens du Brésil sont en voie d’extinction totale, malgré une protection légale qui devrait leur assurer la possession de leurs terres (création par décret, en 1961, du Parc national du Xingú), mais qui , battue en brèche par les pouvoirs économiques et politiques locaux, est chaque jour plus précaire et plus illusoire. D’autres groupes, également menacés, subsistent encore dans des régions peu explorées (haut Orénoque par exemple) ou restées marginales (haut Xingú, Guaporé ou massif des Guyanes). La tentative actuelle de « francisation » des Indiens de Guyane française signifie pour eux la détérioration physique (introduction de l’alcoolisme à l’occasion des campagnes électorales et par la multiplication des licences d’ouverture de débits de boisson à proximité des villages) et l’exploitation économique (prolétarisation des indigènes ou leur transformation en bêtes curieuses par les entreprises de tourisme).Ethnologie des sociétés traditionnellesL’homogénéité déjà signalée des cultures amazoniennes s’accompagne d’une étonnante diversité linguistique. Outre les principales familles (Arawak, Carib, Tupi-Guarani, Gé, Pano, Tukano) différenciées dialectalement, de nombreuses langues isolées constituent une impressionnante mosaïque. Dans certaines régions (haut Xingú par exemple), quatre ou cinq langues mutuellement inintelligibles sont parlées dans des villages aux contacts réguliers et fréquents.Activités de productionAgriculture sur brûlis, chasse et cueillette en forêt, pêche dans les rivières sont les activités économiques de base. La technique du brûlis, connue dans toutes les parties tropicales et forestières du monde, consiste à abattre les arbres au commencement de la saison sèche et à mettre le feu aux troncs et aux souches avant le début des pluies. On plante ensuite sur la couche de cendres qui recouvre et enrichit le sol défriché.La principale plante amazonienne cultivée est le manioc (Manihot utilissima ) dont deux espèces sont domestiquées, l’une vénéneuse (manioc amer) et l’autre non (manioc doux). La consommation du manioc amer nécessite un traitement préalable pour en éliminer la toxicité due à la présence d’acide prussique. Divers procédés ont été mis au point par les Indiens, qui visent à provoquer l’évaporation du poison soit par la macération dans l’eau puis le séchage au feu, soit par l’ébullition du jus exprimé des tubercules au moyen d’une presse en vannerie. Le résidu de l’ébullition contient le tapioca. La masse des tubercules, devenue comestible, est convertie en galettes (la cassave des Guyanes et du Nord-Ouest amazonien, le beiju des Tupi du Brésil) ou en granulés (appelés « farine » au Brésil). Le manioc doux ne demande aucune préparation spéciale. Il est consommé bouilli ou rôti, comme les autres tubercules. Sa valeur nutritive est inférieure à celle du manioc amer, mais il est cultivé partout (peut-être fut-il domestiqué le premier), tandis que l’autre espèce est inconnue à l’ouest d’une diagonale qui va du rio Caqueta en Colombie aux sources du Xingú dans le Mato Grosso.Le maïs est une culture secondaire dans la plus grande partie de la forêt tropicale sauf chez les Tupi-Guarani du sud du Brésil et du Paraguay. Sa culture gagne en importance à mesure que l’on s’approche des Andes. Les Indiens de l’Amazonie sont surtout des cultivateurs de tubercules (manioc d’abord, puis patates douces [Ipomea batatas ], ignames [Dioscorea sp. ]), qui s’accommodent de l’alternance saisonnière de la chaleur sèche et des pluies abondantes. Une céréale comme le maïs a besoin, en revanche, d’humidité bien répartie tout au long de l’année; quand les épis sont mûrs, ils doivent être coupés et engrangés, alors que les tubercules de manioc peuvent demeurer en terre longtemps (un à deux ans) après qu’ils ont atteint leur maturité et n’être récoltés qu’au fur et à mesure des besoins. On comprend que la forme du travail individuel et collectif, la production et l’utilisation d’un surplus, donc l’organisation sociale et politique, soient différentes chez les cultivateurs de céréales et les cultivateurs de tubercules. Les agriculteurs sur brûlis sont itinérants; le sol, fertilisé par les cendres mais dénudé par l’abattage de la couverture forestière, est soumis à l’action érosive des pluies tropicales; cependant, selon certains ethnologues, l’épuisement du sol n’est pas si important qu’il justifie la pratique courante d’abandonner les plantations au bout de trois à cinq années. Le défrichage de nouveaux terrains serait rendu nécessaire par la rapide croissance d’une végétation secondaire de ronces et d’épineux plus difficile à « nettoyer » que la forêt. Ainsi, peu à peu, les plantations s’éloignent du village et le portage de la provision quotidienne par les femmes lourdement chargées devient trop pénible. Le village entier se déplace alors pour se rapprocher des nouvelles clairières. Cette agriculture extensive impose l’utilisation d’une vaste superficie de terres cultivables. Ses rendements ne sont pas élevés mais, dans des conditions normales, suffisants pour une population de faible densité. Sur les rives du moyen Amazone (un des rares endroits où le brûlis peut être remplacé par la culture sur les berges saisonnièrement inondées) et le littoral brésilien, les villages indigènes atteignaient néanmoins plusieurs milliers d’habitants; ailleurs, quelques centaines seulement vivaient en autosubsistance.Aux tubercules les Indiens mêlent, dans les plantations, les haricots (Phaseolus ), les courges et calebasses (Crescentia et Lagenaria ), les arachides, les piments (Capsicum ), utilisés surtout dans le Nord amazonien, et des fruits: ananas, papayes et avocats. La conquête européenne a introduit la banane, originaire d’Afrique, et diffusé le cacao cultivé au Mexique mais probablement cueilli dans la forêt aux temps précolombiens. Le tabac est la plante cérémonielle indigène par excellence: on le fume ou l’on boit le jus de ses feuilles. Dans le Nord et l’Ouest exclusivement, des hallucinogènes sont cultivés ou ramassés à l’état sauvage. Il faut mentionner, enfin, parmi les plantes non alimentaires, le genipa (Genipa Americana ) et le roucou (Bixa orellana ) dont on extrait les peintures noires et rouges, indispensables à la parure des corps, ainsi que le coton, lui aussi cultivé ou utilisé à l’état sauvage.Les fruits, herbes et racines de cueillette jouent un grand rôle dans l’alimentation; le bois et les fibres de palmiers et de broméliacées fournissent les matériaux de construction des maisons et des pirogues et de fabrication des armes, des textiles et des récipients de vannerie. De nombreuses variétés de palmiers donnent des fruits comestibles, souvent oléagineux, et une moelle riche en amidon. Le miel sauvage est très apprécié.L’apport conjugué de l’agriculture, activité essentielle, de la cueillette toujours importante, de la chasse et de la pêche assure l’équilibre bioéconomique des sociétés amazoniennes. Des techniques variées permettent de capturer des mammifères et des oiseaux: pièges, affût, battues par le feu et avec l’aide de chiens, tir à l’arc surtout. La sarbacane, qui n’est qu’une arme de chasse, jamais de guerre, a une aire de distribution limitée au nord-ouest et à l’ouest, coïncidant avec celle de l’utilisation du curare (Strychnos toxifera ); elle consiste en un tube creux – ou deux tubes emboîtés – de deux à trois mètres de long, dans lequel on introduit une pointe empoisonnée qui est propulsée par le souffle du tireur. Silencieuse et de longue portée (jusqu’à quarante mètres), la sarbacane est très efficace dans la chasse aux animaux arboricoles (oiseaux et singes), qui sont instantanément paralysés et tués par le curare. L’arc sert également à la pêche, l’Indien se tenant debout dans sa pirogue et tirant avec une extrême habileté sur les poissons au passage. Harpons, lances, nasses sont également courants, mais la technique la plus répandue est celle dite, improprement, « au poison »: des fagots de branchages ou plus souvent de lianes sont frappés dans les eaux basses où ils dégagent une substance qui en modifie la tension superficielle; les poissons à demi asphyxiés flottent sans nager entre deux eaux, et il est alors facile de les piquer au bout d’une flèche ou de les ramasser à la main.C’est la cueillette qui fournit ses matières premières à l’artisanat indigène. Sans négliger les particularités et spécialisations locales, on peut dire qu’en règle générale les habitants des forêts amazoniennes font de la vannerie, du tissage, de la poterie, construisent des pirogues et des huttes, fabriquent des armes en bois (arcs et massues) et en bambou (flèches, sarbacanes), travaillent la plume et l’os, rarement la pierre. L’outillage agricole est très réduit; la terre n’étant pas retournée, il suffit de haches (de pierre jadis, métalliques depuis fort longtemps) pour abattre les arbres et d’un bâton à fouir pour enfoncer les plants dans le sol.Organisation sociale et religieuseLes liens de parenté et de corésidence sont les éléments de base de l’organisation sociale. Le village est souvent une unité économique et politique autonome. Il peut être (Nord-Ouest amazonien) constitué d’un seul patrilignage (descendants en ligne masculine d’un ancêtre commun) localisé et exogame, c’est-à-dire dont les épouses viennent d’un autre lignage et aussi par conséquent d’une autre communauté locale. L’ensemble de ce qu’on appelle la tribu est ainsi fait de groupes territoriaux liés les uns aux autres par les intermariages et rassemblés périodiquement pour des cérémonies célébrées en commun (les célèbres « fêtes de boisson » par exemple). Ailleurs, comme chez les anciens Tupi de la côte brésilienne et du moyen Amazone, les villages multilignagers groupaient jusqu’à deux ou trois mille personnes; le conseil politique de la communauté comprenait des représentants aînés de chaque lignage et des hommes prestigieux dont le statut avait été acquis par des prouesses guerrières. Il existe d’autres types d’organisation sociale reposant non sur des groupes de filiation (lignages) mais sur des familles étendues dont, à chaque génération, les alliances modifient la composition. La position des individus est alors déterminée par leur agrégation, au sein d’une communauté locale, à un groupe de parents et d’alliés résidant en commun, et non par leur appartenance à une lignée.La signification politique et religieuse de la guerre, en Amazonie, est mal connue: ni accident ni entreprise de conquête en vue de s’assurer la possession de nouvelles terres, elle est un élément de la structure sociale grâce auquel s’accomplissent les rites anthropophagiques, ou s’acquièrent des trophées humains ou, le plus souvent, s’obtiennent des épouses. Tous les groupes ethniques ne sont pas également engagés dans les cycles de violences et de vendettas. Les Tupi de la côte brésilienne, les Carib des Guyanes et des Antilles (dont le nom, déformé par les Espagnols du XVIe siècle, est devenu « cannibale ») sont parmi les plus belliqueux et ceux chez qui le cérémonialisme guerrier et anthropophagique est le plus complexe et le plus développé; les Arawak de Guyane ont, en revanche, une réputation de pacifisme.Les croyances et pratiques magico-religieuses des tribus amazoniennes sont dominées par une institution appelée chamanisme , dont l’origine est certainement sibérienne et qui s’est propagée de l’Alaska à la Terre de Feu par les migrations venues d’Asie. Le chaman est un individu doué de pouvoirs surnaturels qui, grâce à des transes provoquées et maîtrisées à la suite d’un long apprentissage, entre en communication avec un ou plusieurs esprits qui le protègent ou l’aident à vaincre d’autres esprits malfaisants. Sa position intermédiaire entre le monde des hommes et celui des esprits, ambiguë par définition, lui donne une place redoutable et enviée au sein de la société. Cette situation n’est pas une sinécure, car s’il tire des avantages matériels et moraux de ses succès (qui ne le dispensent toutefois pas d’avoir les mêmes activités productrices que les autres hommes), il encourt de grands risques en cas d’échec: ruine de son prestige, sanctions surnaturelles inspirées par des adversaires plus puissants, voire mise à mort si ses actes sont jugés nuisibles à la communauté.La principale fonction du chaman est de guérir les maladies en extrayant magiquement du corps du patient l’objet pathogène introduit par un mauvais esprit ou un chaman malfaisant, ou bien en allant rechercher dans le monde surnaturel l’âme dont la perte a provoqué le mal. Il peut aussi « prédire l’avenir, interpréter les présages, empêcher les éléments de nuire aux hommes, charmer le gibier, distribuer la force magique à ceux qui en ont besoin, organiser et présider les cérémonies religieuses et les danses » (A. Métraux). Chez les Guarani, il cumule pouvoir religieux et pouvoir politique. Il exerce ses pouvoirs au moyen, non pas d’un état de possession car il n’est pas « habité » par les esprits, mais d’une extase, d’une séparation de son corps d’avec son âme, celle-ci entreprenant un voyage dans l’autre monde facilité par l’ingestion d’hallucinogènes, de narcotiques, et surtout, de jus et de fumée de tabac.En ce qui concerne les rites d’initiation et les cérémonies liées aux plantes cultivées ou au gibier et au poisson, on peut difficilement établir un modèle général valable pour toutes les sociétés amazoniennes, faute d’une bonne connaissance de leurs systèmes symboliques et en raison des particularismes régionaux. On doit en effet distinguer, dans cette vaste aire et en dépit de l’homogénéité d’ensemble plusieurs fois soulignée, des « provinces » culturelles dont il convient maintenant d’esquisser les traits principaux.Les provinces culturelles amazoniennesLes GuyanesDu delta de l’Orénoque à l’embouchure de l’Amazone, limitée au nord par l’Atlantique et au sud par des massifs montagneux, la région des Guyanes était en majorité peuplée de tribus appartenant aux familles linguistiques arawak et carib. L’artisanat (vannerie, tissage, poterie) y était particulièrement développé. Dans le domaine de l’organisation sociale, il semble qu’on puisse relever une double opposition entre populations de la côte et populations des massifs de l’intérieur, entre sociétés à clans ou lignages, donc divisées en groupes de filiation stables, et sociétés où les groupes résidentiels sont reformés à chaque génération autour soit de germains (frères et sœurs), soit d’un chef de maison s’assurant le service et le travail de ses gendres. Ce dernier type d’organisation, dont la cohésion est probablement moins forte, semble avoir dominé chez les Carib et s’être transplanté et exacerbé quand certains d’entre eux émigrèrent, aux temps précolombiens, vers les Petites Antilles d’où ils chassèrent des Arawak installés avant eux. Là se développa l’institution de la maison des hommes, dont le rôle politique au niveau du village contrebalançait l’instabilité des groupes de résidence et les effets centrifuges de leurs conflits internes.Le Nord-Ouest amazonienL’aire des bassins des fleuves Vaupés et Caqueta, aujourd’hui partagée entre la Colombie et le Brésil, est caractérisée par une organisation de parenté fondée sur des patrilignages localisés dont chacun constitue une communauté territoriale et occupe une unique grande maison, un ensemble rituel complexe avec culte des ancêtres, personnification d’instruments de musique (flûtes et trompes), danses de masques, interdits à la vue des femmes, ainsi que par des sociétés secrètes d’hommes et des rituels funéraires.La MontañaDe l’Équateur à la Bolivie, le versant oriental des Andes (Montaña), sillonné de rapides et de fleuves qui convergent vers l’Amazone et ses grands affluents, appartient culturellement à la forêt. Mais la proximité des Andes affecte la culture matérielle (port de jupes de coton, domestication d’animaux tels le cochon d’Inde ou le canard dit « de Barbarie », style des décorations corporelles et de la poterie). Malheureusement les structures sociales traditionnelles y sont mal connues. Elles furent très tôt désagrégées par l’occupation européenne et notamment l’activité missionnaire, qui procéda à des démantèlements de villages dont les habitants furent obligés de se fixer sur le territoire des missions, imposa le vêtement complet, interdit la polygynie ainsi que les pratiques religieuses indigènes. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, la « pacification » réduisit les Indiens au servage au profit des colons ou les soumit à une intense exploitation économique facilitée par l’introduction de monnaies et marchandises occidentales dont ils devenaient dépendants. Peut-être encore plus que les Indiens des autres aires amazoniennes, les « Chunchos » de la selva péruvienne furent victimes des nombreuses actions « ethnocidaires » des nouveaux maîtres de l’Amérique du Sud.Le Sud-Ouest amazonienLes bassins des fleuves Juruá et Purus, et le cours moyen de l’Amazone constituent aussi des régions culturelles soit par le groupement de familles linguistiques (tupi et arawak ici, pano et arawak là), soit par le genre de vie, plus axé sur la pêche et le commerce intertribal (moyen Amazone). Les tribus de langue pano sont connues pour leurs rituels d’initiation des filles comprenant excision et défloration, faits très rares en Amérique du Sud, et leur endo-cannibalisme (consommation des os des parents morts).Tupi et GuaraniLes Guarani forment aujourd’hui la majorité de la population rurale du Paraguay; les Tupi de la côte brésilienne ont été complètement anéantis. Issus d’une souche commune, de langues très voisines, Tupi et Guarani se ressemblaient beaucoup, aux différences écologiques près qui tiennent à un habitat côtier dans un cas et de l’intérieur des terres dans l’autre. Les tribus Tupi-Guarani ont essaimé dans toute l’Amazonie, poussées dans leurs migrations par des motifs religieux, voire messianiques; elles ne sont toutefois pas passées sur la rive gauche de l’Amazone, sauf en Guyane. On peut caractériser sommairement le « complexe culturel » Tupi-Guarani par l’organisation patrilinéaire et patrilocale, le groupement en gros villages fortifiés au plan quadrangulaire, une religion messianique, l’importance de la vendetta et du cannibalisme rituel.Le Haut XingúExplorée à la fin du XIXe siècle seulement, la région des formateurs du Xingú, dans le Mato Grosso, a été une zone de refuge pour de nombreuses ethnies. Autant l’accès, barré au nord par les rapides et les contreforts du plateau, à l’est et à l’ouest par les hauteurs de deux serras , en était difficile avant les transports aériens, autant à l’intérieur de ce bassin de drainage, les communications par voie fluviale y étaient aisées pour les habiles piroguiers que sont les Indiens. En raison de son réseau hydrographique dense, la région est beaucoup moins aride que le plateau du Mato Grosso; la forêt offre de nombreuses ressources comestibles, la pêche est abondante. Dans ce cul-de-sac, des milliers d’Indiens, qui ont curieusement préservé leurs particularismes linguistiques, ont développé sur la base d’échanges économiques, rituels et matrimoniaux intertribaux une culture uniforme qui se manifeste dans le plan des villages, le style des objets et des parures et les cérémonies célébrées en commun. Deux faits importants sont à signaler: l’interdépendance économique due à la spécialisation artisanale de chaque tribu et le caractère pacifique des relations entre les ethnies « intégrées », opposé au caractère belliqueux des relations de toutes avec les groupes périphériques.Les Gé du plateau central brésilienDes savanes de l’Araguaia aux confins du haut Xingú vivent les Indiens de la famille linguistique gé qui, contrairement aux habitants de la forêt, ont une culture matérielle si pauvre (pas de poterie, pas de tissage, pas de pirogue) qu’ils furent longtemps assimilés aux populations dites des chasseurs-cueilleurs. Pourtant, ils cultivent le sol, sans, il est vrai, connaître autant de variétés de plantes que les Tupi ou les Arawak. Comme eux, cependant, ils possèdent les deux espèces de manioc, le maïs et les patates douces, celles-ci étant d’ailleurs plus importantes dans leur alimentation. Ils pêchent très peu, et seulement « au poison », en fin de saison sèche quand les eaux sont basses. Les Gé se distinguent surtout par leurs structures sociales, d’une grande complexité. Une ou plusieurs paires de moitiés antagonistes et complémentaires, aux fonctions cérémonielles, ou économiques, ou exogamiques, deux types de classes d’âge, des systèmes mal élucidés d’attribution des noms assignant aux individus une place dans des groupes sociaux, se combinent à des organisations familiales patrilocales (Gé du Centre) ou matrilocales (Gé du Nord). La disposition des villages est caractéristique: circulaire ou semi-circulaire; l’emplacement qu’occupent, sur la place centrale, une maison des hommes ou les rassemblements d’associations masculines, moitiés ou classes d’âges, est déterminé par référence à deux points cardinaux opposés. L’exemple gé montre de façon éclatante qu’un bas niveau technique ne s’accompagne pas nécessairement d’une grande simplicité de l’organisation sociale.
Encyclopédie Universelle. 2012.